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28/10/2022 | FRANCE | N°445031

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 28 octobre 2022, 445031


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 445031, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 1er octobre et 10 décembre 2020, les 29 juin et 1er juillet 2021 et les 31 janvier et 4 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat jeunes médecins demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-1182 du 28 septembre 2020 relatif à la modification de la grille des émoluments des praticiens hospitaliers à temps plein et des pra

ticiens des hôpitaux à temps partiel ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 445031, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 1er octobre et 10 décembre 2020, les 29 juin et 1er juillet 2021 et les 31 janvier et 4 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat jeunes médecins demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-1182 du 28 septembre 2020 relatif à la modification de la grille des émoluments des praticiens hospitaliers à temps plein et des praticiens des hôpitaux à temps partiel ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'adopter un décret modifiant la grille des émoluments ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 446862, par une requête, un mémoire en réplique et trois nouveaux mémoires, enregistrés le 25 novembre 2020, les 29 juin et 1er juillet 2021 et le 31 janvier et 4 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'intersyndicale action praticiens hôpital demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret n° 2020-1182 du 28 septembre 2020 relatif à la modification de la grille des émoluments des praticiens hospitaliers à temps plein et des praticiens des hôpitaux à temps partiel ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'adopter un décret modifiant la grille des émoluments ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

3° Sous le n° 446939, par une requête, un mémoire en réplique et un autre mémoire, enregistrés le 26 novembre 2020 et les 29 juin et 1er juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme U... F... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret n° 2020-1182 du 28 septembre 2020 relatif à la modification de la grille des émoluments des praticiens hospitaliers à temps plein et des praticiens des hôpitaux à temps partiel ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'adopter un décret modifiant la grille des émoluments ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

4° Sous le n° 447078, par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 30 novembre 2020, 30 septembre 2021 et 6 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... V... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-1182 du 28 septembre 2020 relatif à la modification de la grille des émoluments des praticiens hospitaliers à temps plein et des praticiens des hôpitaux à temps partiel ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

5° Sous le n° 450650, par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 12 mars et 24 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... M..., Mme W... H..., M. D... Z..., M. BC... BD..., M. AE..., Mme AF..., M. J... K..., Mme Valentine AI..., M. I... AB..., Mme N... P..., M. O... T..., M. E... R..., M. AD... X..., M. BA... BB..., M. L... AC... et M. G... A... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret n° 2020-1182 du 28 septembre 2020 relatif à la modification de la grille des émoluments des praticiens hospitaliers à temps plein et des praticiens des hôpitaux à temps partiel ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la directive 1999/70/CE du Conseil de l'Union européenne du 28 juin 1999 ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ségolène Cavaliere, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;

Vu les notes en délibéré, enregistrées les 10 et 21 octobre 2022, présentées par l'intersyndicale action praticiens hôpital ;

Considérant ce qui suit :

1. Afin de modifier le déroulement de carrière des praticiens hospitaliers, le décret du 28 septembre 2020 relatif à la modification de la grille des émoluments des praticiens hospitaliers à temps plein et des praticiens des hôpitaux à temps partiel a fusionné les quatre premiers échelons de la grille des émoluments des praticiens hospitaliers à temps plein et des praticiens des hôpitaux à temps partiel, en précisant les conditions du reclassement des membres présents dans le corps. Le syndicat jeunes médecins, l'intersyndicale action praticiens hôpital, Mme F..., M. V... et M. M... et autres demandent, par cinq requêtes qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.

2. La circonstance que le signataire d'un mémoire en défense tendant seulement au rejet d'un recours pour excès de pouvoir n'aurait pas disposé d'une délégation régulière de signature est sans incidence sur l'issue du litige. Par suite, la contestation soulevée à cet égard par la requête de M. V... ne peut qu'être écartée comme inopérante.

Sur la légalité externe du décret attaqué :

3. En premier lieu, il ressort des mentions de l'ampliation certifiée conforme par la secrétaire générale du Gouvernement que le décret attaqué a été signé par le Premier ministre et contresigné par le ministre des solidarités et de la santé, le ministre de l'économie, des finances et de la relance et la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.

4. En deuxième lieu, l'organisme dont une disposition législative ou réglementaire prévoit la consultation avant l'intervention d'un texte doit être mis à même d'exprimer son avis sur l'ensemble des questions soulevées par ce texte. Par suite, dans le cas où, après avoir recueilli son avis, l'autorité compétente pour prendre le texte envisage d'apporter à son projet des modifications, elle ne doit procéder à une nouvelle consultation de cet organisme que si ces modifications posent des questions nouvelles. En l'espèce, les modifications rédactionnelles et de portée mineure apportées au projet postérieurement à la consultation du conseil supérieur des personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques, à laquelle il a été procédé en application de l'article L. 6156-5 du code de la santé publique, ne soulevaient pas de question nouvelle qui aurait imposé une nouvelle consultation.

5. En troisième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, la seule circonstance que les praticiens contractuels sont susceptibles d'intégrer le corps des praticiens hospitaliers titulaires n'imposait pas la présence, lors de la réunion de ce conseil supérieur, des représentants du collège des praticiens hospitaliers contractuels, prévu au 3° de l'article R. 6156-31 du même code.

6. En quatrième lieu, s'il est soutenu que le projet de décret soumis à l'avis du conseil supérieur ne permettait pas de comprendre les conditions dans lesquelles la réforme s'appliquerait aux praticiens hospitaliers nommés avant l'entrée en vigueur du décret, il ressort en tout état de cause des pièces du dossier que cette question a été débattue lors de l'examen du projet par le conseil supérieur.

7. Enfin, la seule circonstance que le vote auquel le conseil supérieur a procédé sur le projet de décret ait pris la forme d'un vote d'ensemble, sans être précédé, ainsi que le prévoit en principe le règlement intérieur de cette instance, d'un vote article par article, n'a pas été en l'espèce de nature à entraîner une privation de garantie ou à exercer une influence sur le sens de la décision retenue. Elle ne saurait, par suite et en tout état de cause, affecter la légalité du décret attaqué.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

8. Le décret attaqué modifie la grille des émoluments des praticiens hospitaliers à temps plein et à temps partiel, en fusionnant, dans le cadre d'une revalorisation de ces émoluments, les quatre premiers échelons, d'une durée d'un an pour les deux premiers et deux ans pour les deux suivants, en un seul échelon d'une durée de deux ans, Ce décret définit également les conditions de reclassement des membres présents dans le corps, en prévoyant notamment, à son article 7, que les agents classés entre le premier et le troisième échelon sont reclassés, à compter de son entrée en vigueur, intervenue le 1er octobre 2020, au premier échelon de la nouvelle grille, sans que l'ancienneté acquise dans leur précédent échelon ne soit conservée, tandis que les praticiens classés au quatrième échelon sont reclassés à la même date au même premier échelon en conservant leur ancienneté acquise dans leur précédent échelon.

9. En premier lieu, les requérants soutiennent que le décret aurait pour effet, en violation du principe d'égalité de traitement des agents appartenant à un même corps, d'entraîner une rupture du principe d'égalité et une inversion dans l'ordre d'ancienneté au détriment des agents recrutés dans ce corps avant la date d'entrée en vigueur du décret.

10. Toutefois la différence de traitement, résultant de la modification apportée par le décret attaqué aux règles applicables au corps des praticiens hospitaliers, entre les agents qui ont été recrutés dans ce corps avant la date à laquelle est entrée en vigueur la modification statutaire et ceux qui ont été recrutés sous l'empire des nouvelles règles est inhérente à la succession dans le temps des règles applicables et n'est pas, par elle-même, contraire au principe d'égalité.

11. Eu égard aux modalités de reclassement retenues par le décret attaqué, qui placent au même niveau d'ancienneté dans l'échelon les praticiens nommés au 1er octobre 2020 et les praticiens précédemment classés entre le premier et le troisième échelon et reclassés à cette date au même premier échelon, et qui, par ailleurs, prévoient la conservation de l'ancienneté dans l'échelon des praticiens précédemment classés au quatrième échelon et au-delà, il ne résulte du décret attaqué aucune inversion illégale dans l'ordre d'ancienneté au sein du corps. La circonstance que le décret attaqué se combine avec la règle, résultant de l'article R. 6152-17 du code de la santé publique, qui prévoit que le classement dans l'emploi de praticien hospitalier des agents qui sont nommés dans le corps tient également compte, notamment, de la durée des fonctions de même nature effectuées antérieurement à leur nomination et présentant un intérêt pour le service public hospitalier, est sans incidence sur le respect du principe d'égalité entre agents d'un même corps, les fonctions ainsi prises en compte ne relevant pas d'une ancienneté dans le corps, et n'entraînant ainsi aucune inversion illégale dans l'ordre d'ancienneté au sein du corps.

12. En deuxième lieu, en prévoyant pour les praticiens hospitaliers qui avaient cette qualité avant sa date d'entrée en vigueur et qui ont démissionné, l'application de règles particulières de classement en cas de retour dans le corps, qui ont pour objet d'empêcher le contournement des règles qu'il pose, le décret attaqué ne méconnaît pas davantage le principe d'égalité.

13. En troisième lieu, il est soutenu que le décret attaqué méconnaîtrait la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 en ce qu'il s'applique aux seuls praticiens hospitaliers titulaires, et non aux praticiens hospitaliers contractuels, dont les conditions de rémunération restent fixées par référence aux règles précédemment applicables aux praticiens titulaires.

14. Aux termes de la clause 4 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée annexé à la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 : " 1. Pour ce qui concerne les conditions d'emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d'une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu'ils travaillent à durée déterminée, à moins qu'un traitement différent soit justifié par des raisons objectives ". Cette clause, dans l'interprétation qu'en retient la Cour de justice de l'Union européenne, s'oppose aux inégalités de traitement dans les conditions d'emploi entre travailleurs à durée déterminée et travailleurs à durée indéterminée, sauf à ce que ces inégalités soient justifiées par des raisons objectives, qui requièrent que l'inégalité de traitement se fonde sur des éléments précis et concrets, pouvant résulter, notamment, de la nature particulière des tâches pour l'accomplissement desquelles des contrats à durée déterminée ont été conclus et des caractéristiques inhérentes à celles-ci ou, le cas échéant, de la poursuite d'un objectif légitime de politique sociale d'un État membre.

15. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la différence de traitement entre praticiens titulaires et praticiens contractuels résultant du décret attaqué n'est pas fonction de la durée déterminée ou indéterminée de la relation de travail. Au surplus, la différence de traitement critiquée entre praticiens titulaires et praticiens contractuels se justifie par l'objectif légitime consistant à rendre plus attractif, dès le début de carrière, l'exercice des fonctions de praticien hospitalier dans le cadre d'emplois publics permanents de praticiens titulaires pourvus par la voie d'un concours national destiné à assurer la qualité du recrutement nécessaire aux soins. Dès lors, et en tout état de cause, le moyen tiré de ce que les dispositions attaquées méconnaîtraient la clause 4 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée ne peut qu'être écarté.

16. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête de l'intersyndicale action praticiens hospitaliers, que les requêtes du syndicat jeunes médecins, de l'intersyndicale action praticiens hôpital, de Mme F..., de M. V... et de M. M... et autres doivent être rejetées, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes du syndicat jeunes médecins, de l'intersyndicale action praticiens hôpital, de Mme F..., de M. V... et de M. M... et autres sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au syndicat jeunes médecins, à l'intersyndicale action praticiens hôpital, à Mme U... F..., à M. C... V..., à M. B... M..., premier requérant dénommé, à la Première ministre, au ministre de la santé et de la prévention et à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Délibéré à l'issue de la séance du 7 octobre 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, M. Olivier Rousselle, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et Mme Ségolène Cavaliere, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 28 octobre 2022.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Ségolène Cavaliere

La secrétaire :

Signé : Mme Anne-Lise Calvaire


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 28 oct. 2022, n° 445031
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Ségolène Cavaliere
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron

Origine de la décision
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Date de la décision : 28/10/2022
Date de l'import : 18/12/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 445031
Numéro NOR : CETATEXT000046527018 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2022-10-28;445031 ?
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