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27/10/2022 | FRANCE | N°459576

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 27 octobre 2022, 459576


Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 2103248 du 17 décembre 2021, enregistrée le 17 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente du tribunal administratif de Toulon a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par M. A... B....

Par cette requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Toulon le 1er décembre 2021, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du général

commandant l'aviation légère de l'armée de terre du 15 avril 2021 lui infligeant la ...

Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 2103248 du 17 décembre 2021, enregistrée le 17 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente du tribunal administratif de Toulon a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par M. A... B....

Par cette requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Toulon le 1er décembre 2021, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du général commandant l'aviation légère de l'armée de terre du 15 avril 2021 lui infligeant la sanction professionnelle d'attribution de quinze points négatifs, ainsi que la décision du chef d'état-major de l'armée de terre du 23 juillet 2021 rejetant son premier recours administratif et la décision implicite de la ministre des armées rejetant son second recours administratif ;

2°) d'enjoindre à la ministre des armées de retirer cette sanction de son dossier administratif.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la défense ;

- le code des transports ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hervé Cassara, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Cécile Raquin, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que, le 2 février 2018 à Carcès, deux hélicoptères de la base école Général-Lejay de l'aviation légère de l'armée de terre se sont percutés lors d'un vol d'entraînement, causant le décès des cinq membres d'équipage. Par une décision du 15 avril 2021, notifiée le 3 mai 2021, le général commandant l'aviation légère de l'armée de terre (COMALAT) a infligé à M. B..., chef des opérations aériennes de la base école, une sanction professionnelle d'attribution de quinze points négatifs. Par une décision du 23 juillet 2021, notifié le 27 juillet 2021, le chef d'état-major de l'armée de terre a rejeté le premier recours administratif formé le 1er juillet 2021 par l'intéressé contre cette décision. Le 2 août 2021, M. B... a saisi la ministre des armées d'un second recours administratif qu'elle a rejeté par une décision du 22 octobre 2021 qui s'est substitué à sa décision implicite de rejet. M. B... doit être regardé comme demandant au Conseil d'Etat d'annuler ces trois décisions.

Sur la légalité externe des décisions attaquées :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 4137-115 du code de la défense : " Les faits constituant des fautes professionnelles ou des manquements aux règles professionnelles peuvent faire l'objet de l'une des sanctions professionnelles suivantes :/1° Attribution de points négatifs qui interviennent pour l'appréciation de la valeur professionnelle du militaire./ Ils sont attribués par le ministre de la défense qui fixe par arrêté le barème des points pouvant être infligés./ Un délai d'au moins un jour franc doit être respecté avant le prononcé des points négatifs afin que le militaire puisse avoir connaissance de l'ensemble des pièces et documents relatifs aux faits qui lui sont reprochés et s'explique oralement ou par écrit devant l'autorité militaire de premier niveau ou l'autorité subordonnée habilitée dont il relève et qui envisage de le sanctionner. "

3. Si M. B... soutient que la sanction contestée a été édictée à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors que ni ses chefs de corps successifs, ni les généraux commandant de l'aviation légère de l'armée de terre ne lui ont notifié un quelconque manquement avant l'engagement de cette procédure, et que l'enquête du COMALAT était incomplète dès lors qu'elle n'a pas tenu compte de son audition par la gendarmerie dans le cadre de l'enquête judiciaire, il ressort des pièces du dossier que M. B..., informé par ses supérieurs de la décision d'attribution de points négatifs qui était envisagée à son encontre, a fait part de ses observations par écrit le 22 mars 2021, avant l'édiction de la sanction prononcée le 15 avril 2021. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la sanction dont il fait l'objet aurait été édictée à l'issue d'une procédure irrégulière en ce qu'il n'aurait pas été mis à même de présenter préalablement ses observations.

4. En deuxième lieu, les circonstances, d'une part, que la procédure administrative à l'issue de laquelle la sanction contestée a été prononcée n'aurait pas pris en compte les déclarations du requérant dans le cadre de l'enquête judiciaire et, d'autre part, que des courriels du président du Conseil permanent de la sécurité aérienne de l'armée de terre, postérieurs au rapport final du COMALAT, ont fait état d'un dossier incomplet ne permettant pas à cette instance d'émettre ses recommandations, ne sont, en tout état de cause, pas de nature à établir que la procédure suivie à son encontre aurait été entachée d'irrégularité.

5. En troisième lieu, si le requérant soutient que la sanction aurait été prononcée à l'issue d'une procédure irrégulière au motif que le rapport final de l'enquête centrale du COMALAT contredisait sans raison objective les conclusions de l'enquête initiale, menée du 12 au 15 février 2018 et ayant donné lieu à un rapport du 1er juin 2018, s'agissant de la conformité des ordres de vol aux consignes permanentes opérationnelles en vigueur à la base-école, il ressort des pièces du dossier que l'enquête initiale avait pour seul but de recueillir les premiers éléments sur les causes et les circonstances de l'accident, tandis que l'enquête centrale diligentée par le COMALAT reposait sur des investigations plus approfondies. La seule circonstance qu'une partie des faits relevés dans le cadre de cette seconde enquête n'ait pas été relevée dès l'enquête initiale n'est pas, contrairement à ce que soutient M. B..., de nature à entacher d'irrégularité la procédure suivie à son encontre. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité interne des décisions attaquées :

8. En premier lieu, aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 4137-1 du code de la défense : " (...) Aucune procédure disciplinaire ne peut être engagée au-delà d'un délai de trois ans à compter du jour où l'administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits passibles de sanction (...) ". Si M. B... soutient que l'engagement des poursuites à son encontre a été tardif, il ressort des pièces du dossier que l'administration a eu connaissances des faits justifiant la sanction contestée à la date de la remise du rapport de l'enquête centrale du COMALAT le 31 janvier 2020. Par suite, dès lors que la procédure disciplinaire a été engagée avant l'expiration du délai de trois ans mentionné à l'article L. 4137-1 du code de la défense, M. B... n'est pas fondé à soutenir que ces dispositions auraient été méconnues.

9. En deuxième lieu, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

10. M. B... soutient que, dès lors qu'aucune des enquêtes menées sur les circonstances de l'accident ne le met en cause personnellement, l'autorité militaire, en retenant qu'il " n'a pas détecté les vulnérabilités du dispositif de planification, de conduite et de coordination des vols à partir de la base école, formalisé dans les consignes permanentes opérationnelles de l'unité ", se serait fondée sur des faits matériellement inexacts, les aurait inexactement qualifiés et lui aurait infligé une sanction disproportionnée.

11. Toutefois, d'une part, si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d'un jugement ayant acquis force de chose jugée s'imposent à l'administration comme au juge administratif, la même autorité ne saurait s'attacher aux décisions de classement sans suite prises par le ministère public. Par suite, la circonstance que l'enquête judiciaire a abouti à un classement sans suite n'est pas de nature à démontrer que l'autorité militaire se serait fondée sur des faits matériellement inexacts, ni à la priver de son pouvoir de sanction.

12. D'autre part, aux termes de l'article L. 1621-3 du code des transports : " L'enquête technique et l'enquête de sécurité prévues à l'article L. 1621-2 ont pour seul objet l'amélioration de la sécurité et la prévention de futurs événements de mer, accidents ou incidents de transport terrestre ou d'aviation civile sans détermination des fautes ou des responsabilités (...) ". Aux termes de l'article R. 3125-1 du code de la défense : " I. Les bureaux enquêtes accidents défense, organismes militaires spécialisés chargés de mener des enquêtes techniques et des enquêtes de sécurité, sont des services à compétence nationale ayant respectivement pour nom et pour sigle :(...) / 3° Bureau enquêtes accidents pour la sécurité de l'aéronautique d'Etat ou BEA-É. / II. Les bureaux enquêtes accidents défense sont indépendants et permanents. / Ils sont chargés, en application des dispositions de l'article L. 3125-1 du code de la défense, des articles L. 1621-1 et suivants du code des transports et de l'article L. 6222-1 du même code, de procéder respectivement aux enquêtes relatives : / (...)/ 3° Aux accidents ou incidents survenus aux aéronefs conçus exclusivement à usage militaire ou exploités en circulation aérienne militaire ou à ceux qui appartenant à l'Etat français ou à tout autre Etat ne sont pas inscrits au registre d'immatriculation prévu à l'article 17 de la convention relative à l'aviation civile internationale signée à Chicago le 7 décembre 1944 ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que les enquêtes menées par le bureau enquêtes accidents pour la sécurité de l'aéronautique d'Etat ont pour seul objet l'amélioration des conditions de sécurité des vols et n'ont pas vocation à déterminer les responsabilités individuelles des personnes impliquées dans des accidents aériens. Par suite, M. B... ne peut utilement se prévaloir, pour contester le bien-fondé de la sanction prononcée à son encontre, de la circonstance qu'il n'a pas été personnellement mis en cause par le rapport de ce bureau.

13. En revanche, il ressort des pièces du dossier que l'enquête menée par le COMALAT a mis en évidence des manquements aux obligations qui incombaient, aux termes de l'instruction du 28 mars 2014 relative aux règles de sécurité aérienne encadrant l'exploitation de aéronefs habités de l'armée de terre, à M. B..., en sa qualité de chef des opérations aériennes. Le rapport d'enquête a, en effet, établi que les mesures de coordination des aéronefs et de prévention des abordages en vol lors de la phase de cheminement vers la zone d'exercice étaient insuffisamment détaillées dans la documentation et notamment dans les consignes permanentes opérationnelles applicables à l'ensemble des aéronefs de la base école, alors que la mise à jour de ces consignes permanentes opérationnelles, avant leur présentation au chef de corps pour signature, relevait de la responsabilité du chef des opérations aériennes. De plus, les ordres de vol présentés à la signature du chef de corps pour la mission d'instruction du 2 février 2018 prévoyaient des horaires identiques de décollage pour deux appareils effectuant des exercices dans la même zone, et ne comportaient aucune consigne particulière en vue de prévenir les risques d'abordage. Si M. B... soutient que cette mission a été programmée dans des conditions identiques à d'autres qui, par le passé, s'étaient déroulées sans encombre, cette circonstance ne le dispensait pas se s'assurer de l'adéquation des consignes délivrées lors du briefing précédant la mission avec l'objectif de sécurité aérienne et de vérifier si les ordres de vol présentés à la signature du chef de corps comportaient les mesures propres à assurer le respect de cette priorité. En outre, s'il soutient que d'autres personnes auraient manqué aux obligations qui leur incombaient et auraient dû être sanctionnées, cette circonstance, à la supposer établie, est sans incidence sur la légalité de la sanction attaquée.

14. Par ailleurs, si le requérant soutient que l'administration s'est fondée à tort sur l'absence de conformité des ordres de vol aux consignes permanentes opérationnelles, il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée à M. B... est uniquement fondée sur l'absence d'identification par ce dernier de la vulnérabilité de ces consignes en cas d'opérations conjointes de plusieurs aéronefs évoluant dans la même zone.

15. Il résulte des points 9 à 14 ci-dessus que les faits reprochés à M. B... sont matériellement établis et que l'autorité militaire ne les a pas inexactement qualifiés en retenant qu'ils constituent des manquements aux règles professionnelles. En dépit de sa manière de servir, eu égard aux responsabilités de M. B... et à la nature des manquements en cause, cette autorité n'a pas, dans les circonstances de l'espèce, et au regard du pouvoir d'appréciation dont elle disposait, pris une sanction disproportionnée en lui infligeant une sanction professionnelle d'attribution de quinze points négatifs.

16. En dernier lieu, M. B... n'établit pas le détournement de pouvoir qu'il allègue.

17. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation des décisions qu'il attaque. Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre des armées.

Délibéré à l'issue de la séance du 7 octobre 2022 où siégeaient : M. Olivier Japiot, président de chambre, présidant ; M. Benoît Bohnert, conseiller d'Etat et M. Hervé Cassara, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 27 octobre 2022.

Le président :

Signé : M. Olivier Japiot

Le rapporteur :

Signé : M. Hervé Cassara

La secrétaire :

Signé : Mme Pierrette Kimfunia


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 459576
Date de la décision : 27/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 27 oct. 2022, n° 459576
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Hervé Cassara
Rapporteur public ?: Mme Cécile Raquin

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:459576.20221027
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