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21/10/2022 | FRANCE | N°468151

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 21 octobre 2022, 468151


Vu la procédure suivante :

I. Sous le numéro 468151, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 et 19 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association One Voice demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 4 octobre 2022 publié au JORF du 7 octobre 2022 relatif à la capture de l'alouette des champs à l'aide de matoles dans les départements des Landes et du Lot-et-Garonne ;

2°) de m

ettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 d...

Vu la procédure suivante :

I. Sous le numéro 468151, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 et 19 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association One Voice demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 4 octobre 2022 publié au JORF du 7 octobre 2022 relatif à la capture de l'alouette des champs à l'aide de matoles dans les départements des Landes et du Lot-et-Garonne ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle justifie d'un intérêt à agir ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que le caractère actuel de l'autorisation de la technique de chasse considérée, prévue pour la période du 1er octobre au 20 novembre de chaque année, est de nature à porter une atteinte grave et immédiate aux intérêts qu'elle défend ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté ;

- l'arrêté est irrégulier en ce qu'il n'est pas établi que son signataire disposait d'une délégation régulière et préalable l'autorisant à le signer au nom du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ;

- l'arrêté contesté méconnaît l'article 9 de la directive n° 2009/147/CE, dès lors que, en premier lieu, l'objectif de préserver les méthodes de chasse traditionnelle ne constitue pas un motif autonome permettant de déroger aux règles relatives à la protection des oiseaux fixées par les articles 5 à 8 de la directive précitée, en deuxième lieu, que les méthodes autorisées de capture des alouettes ne sont pas sélectives, en troisième lieu, les quantités autorisées ne sont pas compatibles avec les objectifs fixés par l'article 9 précité en raison du cumul des méthodes de chasse et, en dernier lieu, les contrôles imposés par l'arrêté ne sont pas suffisants.

Par un mémoire en intervention et un nouveau mémoire, enregistrés les 17 et 19 octobre 2022, la Fédération nationale des chasseurs (FNC), la Fédération départementale des chasseurs de la Gironde, la Fédération départementale des chasseurs du Lot-et-Garonne, la Fédération départementale des chasseurs des Landes et la Fédération départementale des chasseurs des Pyrénées-Atlantiques demandent au juge des référés du Conseil d'Etat de rejeter la requête de l'association One Voice. Elles soutiennent, en premier lieu, que leur intervention est recevable, en deuxième lieu que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et, en troisième lieu, qu'il n'existe aucun doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 octobre 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés

II. Sous le numéro 468152, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 et 19 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association One Voice demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 4 octobre 2022 relatif au nombre maximum d'alouettes des champs capturées au moyen de matoles dans les départements des Landes et du Lot-et-Garonne pour la campagne 2022-2023 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soulève les mêmes moyens que ceux soulevés dans la requête n° 468151.

Par un mémoire en intervention et un nouveau mémoire, enregistrés les 17 et 19 octobre 2022, la Fédération nationale des chasseurs (FNC), la Fédération départementale des chasseurs de la Gironde, la Fédération départementale des chasseurs du Lot-et-Garonne, la Fédération départementale des chasseurs des Landes et la Fédération départementale des chasseurs des Pyrénées-Atlantiques demandent au juge des référés du Conseil d'Etat de rejeter la requête de l'association One Voice. Elles soutiennent, en premier lieu, que leur intervention est recevable, en deuxième lieu que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et, en troisième lieu, qu'il n'existe aucun doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 octobre 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

III. Sous le numéro 468153, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 et 19 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association One Voice demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 4 octobre 2022 relatif à la capture de l'alouette des champs capturées à l'aide de pantes dans les départements de la Gironde, des Landes, du Lot-et-Garonne et des Pyrénées-Atlantiques ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soulève les mêmes moyens que ceux soulevés dans la requête n° 468151.

Par un mémoire en intervention et un nouveau mémoire, enregistrés les 17 et 19 octobre 2022, la Fédération nationale des chasseurs (FNC), la Fédération départementale des chasseurs de la Gironde, la Fédération départementale des chasseurs du Lot-et-Garonne, la Fédération départementale des chasseurs des Landes et la Fédération départementale des chasseurs des Pyrénées-Atlantiques demandent au juge des référés du Conseil d'Etat de rejeter la requête de l'association One Voice. Elles soutiennent, en premier lieu, que leur intervention est recevable, en deuxième lieu que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et, en troisième lieu, qu'il n'existe aucun doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 octobre 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

IV. Sous le numéro 468154, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 et 19 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association One Voice demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 4 octobre 2022 relatif au nombre maximum d'alouettes des champs pouvant être capturées au moyen de pantes dans les départements de la Gironde, des Landes, du Lot-et-Garonne et des Pyrénées-Atlantiques pour la campagne 2022-2023 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soulève les mêmes moyens que ceux soulevés dans la requête n° 468151.

Par un mémoire en intervention et un nouveau mémoire, enregistrés les 17 et 19 octobre 2022, la Fédération nationale des chasseurs (FNC), la Fédération départementale des chasseurs de la Gironde, la Fédération départementale des chasseurs du Lot-et-Garonne, la Fédération départementale des chasseurs des Landes et la Fédération départementale des chasseurs des Pyrénées-Atlantiques demandent au juge des référés du Conseil d'Etat de rejeter la requête de l'association One Voice. Elles soutiennent, en premier lieu, que leur intervention est recevable, en deuxième lieu que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et, en troisième lieu, qu'il n'existe aucun doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 octobre 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

V. Sous le numéro 468170, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrées les 11 et 20 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Ligue pour la protection des oiseaux demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 4 octobre 2022 relatif au nombre maximum d'alouettes des champs pouvant être capturées au moyen de pantes dans les départements de la Gironde, des Landes, du Lot-et-Garonne et des Pyrénées-Atlantiques pour la campagne 2022-2023;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soulève les mêmes moyens que ceux soulevés dans la requête n° 468151.

Par un mémoire en intervention et un nouveau mémoire, enregistrés les 17 et 19 octobre 2022, la Fédération nationale des chasseurs (FNC), la Fédération départementale des chasseurs de la Gironde, la Fédération départementale des chasseurs du Lot-et-Garonne, la Fédération départementale des chasseurs des Landes et la Fédération départementale des chasseurs des Pyrénées-Atlantiques demandent au juge des référés du Conseil d'Etat de rejeter la requête de l'association Ligue pour la protection des oiseaux. Elles soutiennent, en premier lieu, que leur intervention est recevable, en deuxième lieu que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et, en troisième lieu, qu'il n'existe aucun doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 octobre 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

VI. Sous le numéro 468172, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 et 20 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Ligue pour la protection des oiseaux demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 4 octobre 2022 relatif au nombre maximum d'alouettes des champs pouvant être capturées au moyen de matoles dans les départements des Landes et du Lot-et-Garonne pour la campagne 2022-2023 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soulève les mêmes moyens que ceux soulevés dans la requête n° 468151.

Par un mémoire en intervention et un nouveau mémoire, enregistrés les 17 et 19 octobre 2022, la Fédération nationale des chasseurs (FNC), la Fédération départementale des chasseurs de la Gironde, la Fédération départementale des chasseurs du Lot-et-Garonne, la Fédération départementale des chasseurs des Landes et la Fédération départementale des chasseurs des Pyrénées-Atlantiques demandent au juge des référés du Conseil d'Etat de rejeter la requête de l'association Ligue pour la protection des oiseaux. Elles soutiennent, en premier lieu, que leur intervention est recevable, en deuxième lieu que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et, en troisième lieu, qu'il n'existe aucun doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 octobre 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 ;

- le code de l'environnement ;

- l'arrêt C-900/19 du 17 mars 2021 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association One Voice et la Ligue de protection des oiseaux, d'autre part, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, la Fédération nationale des chasseurs, la Fédération départementale des chasseurs des Pyrénées-Atlantiques, la Fédération départementale des chasseurs du Lot-et-Garonne, la Fédération départementale des chasseurs des Landes et la Fédération départementale des chasseurs de la Gironde :

Ont été entendus lors de l'audience publique du 20 octobre 2022, à 10 heures 30 :

- Me Lyon-Caen, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association One Voice ;

- les représentants de l'association One Voice ;

- les représentants de l'association Ligue pour la protection des oiseaux ;

- les représentants du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ;

- Me Farge, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de la Fédération nationale des chasseurs et des Fédérations départementales des chasseurs des Pyrénées-Atlantiques, de la Gironde, des Landes et du Lot-et-Garonne ;

- le représentant de la Fédération nationale des chasseurs ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes visées ci-dessus tendant à la suspension de l'exécution de quatre arrêtés du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires du 4 octobre 2022 relatifs, d'une part, à la capture de l'alouette des champs à l'aide de pantes dans les départements de la Gironde, des Landes, du Lot-et-Garonne et des Pyrénées-Atlantiques et au nombre maximum d'alouettes des champs pouvant être capturées par ce moyen pour la campagne 2022-2023, d'autre part, à la capture de l'alouette des champs à l'aide de matoles dans les départements des Landes et du Lot-et-Garonne et au nombre maximum d'alouettes des champs pouvant être capturées par ce moyen pour la campagne 2022-2023. Elles présentent à juger des mêmes questions. Il y a donc lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance.

2. La Fédération nationale des chasseurs et autres ont intérêt au maintien des arrêtés du 4 octobre 2022. Par suite, leur intervention en défense est recevable.

3. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

Sur la condition d'urgence :

4. Il résulte des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative que le prononcé de la suspension d'un acte administratif est subordonné notamment à une condition d'urgence. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.

5. En premier lieu, les arrêtés relatifs à la capture de l'alouette des champs à l'aide de matoles et de pantes fixent les conditions de l'exercice de ces méthodes de capture, les autorisations dont elles doivent faire l'objet et les contrôles auxquels elles peuvent donner lieu. Leur article 2 dispose que le nombre maximum d'alouettes des champs pouvant être capturées par département est fixé chaque année par le ministre en charge de la chasse. Ces arrêtés n'ayant ni pour objet ni pour effet, par eux-mêmes, d'autoriser d'éventuels prélèvements, une telle autorisation ne pouvant résulter, le cas échéant, que des arrêtés mentionnés à leur article 2, la condition d'urgence ne saurait être satisfaite à leur égard. Il y a lieu, par suite, de rejeter les requêtes n° 468151 et n° 468153 de l'association One Voice qui tendent à la suspension des arrêtés relatifs à la capture des alouettes des champs à l'aide de matoles et de pantes.

6. En second lieu, les deux arrêtés relatifs au nombre maximum d'alouettes des champs capturées au moyen de pantes et de matoles, pris dans le cadre de l'article 2 des arrêtés mentionné au point précédent, ont pour objet et pour effet de permettre la capture, entre le 1er octobre et le 20 novembre 2022, dans les départements et au moyens des méthodes précitées, d'un nombre maximum total de 106 500 alouettes des champs, espèce dont il est constant qu'elle est en déclin et a subi une forte diminution au cours des vingt dernières années et qui a été classée en 2016 sur la liste rouge du comité français de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) comme " quasi-menacée ". L'exécution des arrêtés litigieux est ainsi de nature, dans les circonstances de l'espèce, à porter une atteinte grave et immédiate aux intérêts que les requérantes entendent défendre. Le ministre de la transition écologique n'invoquant aucun motif de nature à faire obstacle au prononcé de la suspension de l'exécution de ces arrêtés, la condition d'urgence doit être regardée comme remplie.

Sur l'existence d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité des arrêtés :

7. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 8 de la directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, dite directive oiseaux : " 1. En ce qui concerne la chasse, la capture ou la mise à mort d'oiseaux dans le cadre de la présente directive, les États membres interdisent le recours à tous moyens, installations ou méthodes de capture ou de mise à mort massive ou non sélective ou pouvant entraîner localement la disparition d'une espèce, et en particulier à ceux énumérés à l'annexe IV, point a). / (...) " Parmi les moyens, installations ou méthode de capture ou de mise à mort prohibés par le a) de l'annexe IV de la directive figure notamment les " collet (...), gluaux, hameçons, oiseaux vivants utilisés comme appelants aveuglés ou mutilés, enregistreurs, appareils électrocutants " ou encore les " filets, pièges-trappes, appâts empoisonnés ou tranquillisants (...) " Toutefois, l'article 9 de la directive prévoit en son paragraphe 1 que " Les États membres peuvent déroger aux articles 5 à 8 s'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pour les motifs ci- après : / (...) c) pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la capture, la détention ou toute autre exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantités. " Par ailleurs, son paragraphe 2 prévoit que les dérogations doivent mentionner les espèces concernées, les moyens, installations ou méthodes de capture ou de mise à mort autorisés, les conditions de risque et les circonstances de temps et de lieu dans lesquelles ces dérogations peuvent être prises, l'autorité habilitée à déclarer que les conditions exigées sont réunies, à décider quels moyens, installations ou méthodes peuvent être mis en œuvre, dans quelles limites et par quelles personnes, enfin les contrôles qui seront opérés.

8. Selon l'article L. 424-2 du code de l'environnement : " (...) Les oiseaux ne peuvent être chassés ni pendant la période nidicole ni pendant les différents stades de reproduction et de dépendance. Les oiseaux migrateurs ne peuvent en outre être chassés pendant leur trajet de retour vers leur lieu de nidification. / Des dérogations peuvent être accordées, s'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et à la condition de maintenir dans un bon état de conservation les populations migratrices concernées : / (...) 2° Pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la capture, la détention ou toute autre exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantités ; / (...) ". En vertu de l'article L. 424-4 du même code : " Dans le temps où la chasse est ouverte, le permis donne à celui qui l'a obtenu le droit de chasser de jour, soit à tir, soit à courre, à cor et à cri, soit au vol, suivant les distinctions établies par des arrêtés du ministre chargé de la chasse. (...) / (...) / Pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la chasse de certains oiseaux de passage en petites quantités, le ministre chargé de la chasse autorise, dans les conditions qu'il détermine, l'utilisation des modes et moyens de chasse consacrés par les usages traditionnels, dérogatoires à ceux autorisés par le premier alinéa. / Tous les moyens d'assistance électronique à l'exercice de la chasse, autres que ceux autorisés par arrêté ministériel, sont prohibés. / Les gluaux sont posés une heure avant le lever du soleil et enlevés avant onze heures. / Tous les autres moyens de chasse, y compris l'avion et l'automobile, même comme moyens de rabat, sont prohibés. / (...) ". L'article R. 424-15-1 du code de l'environnement, créé par le décret du 19 mai 2020 précisant les modalités de mise en œuvre des dérogations prévues aux articles L. 424-2 et L. 424-4 du code de l'environnement pour la chasse de certains oiseaux de passage, dispose que : " Pour l'application des dispositions du troisième alinéa des articles L. 424-2 et L. 424-4, l'utilisation de modes et moyens de chasse consacrés par les usages traditionnels est autorisée dès lors qu'elle correspond à une exploitation judicieuse de certains oiseaux. / (...) ".

9. Sur le fondement des dispositions citées aux points précédents, les articles 1er des arrêtés du 4 octobre 2022 relatifs à la capture de l'alouette des champs aux moyens respectivement de pantes dans les départements de la Gironde, des Landes, de Lot-et-Garonne et des Pyrénées-Atlantiques et de matoles dans les départements des Landes et du Lot-et-Garonne, prévoient que la capture de l'alouette des champs (Alauda arvensis) à l'aide de paires de filets horizontaux (" pantes ") et de cages pièges (" matoles ") " constitue une exploitation judicieuse de petites quantités d'oiseaux qui, en l'absence d'autre solution satisfaisante, a pour objectif la capture sélective d'alouettes des champs destinées à la consommation locale, à l'exception de quelques spécimens capturés en vue de servir d'appelants " et qu'elle est autorisée entre le 1er octobre et le 20 novembre dans les lieux où elle était encore pratiquée en 1986. Il ressort également des motifs de ces arrêtés que ces méthodes de capture " intègrent un ensemble de cultures et de traditions locales qui dépassent la simple conservation d'un usage cynégétique " et que " l'intérêt de cette pratique réside, pour les chasseurs, non pas dans la détention, l'élevage et/ou la reproduction d'oiseaux en captivité, ni même dans leur simple prélèvement, mais dans l'art qui entoure leur capture et la préparation de leur consommation (...) ".

10. En premier lieu, il résulte des dispositions citées aux point 5, telles qu'interprétées par la Cour de justice, que les motifs de dérogation prévus à l'article 9 de la directive sont d'interprétation stricte et, à cet égard, que si les méthodes traditionnelles de chasse sont susceptibles de constituer une exploitation judicieuse de certains oiseaux au sens de la directive, l'objectif de préserver ces méthodes ne constitue pas un motif autonome de dérogation au sens de cet article. Par suite, comme l'a jugé la Cour de justice ainsi que le Conseil d'Etat dans des décisions du 6 août 2021, le caractère traditionnel d'une méthode de chasse ne suffit pas, en soi, à établir qu'une autre solution satisfaisante, au sens des dispositions du paragraphe 1 de cet article 9, ne peut être substituée à cette méthode, de même que le simple fait qu'une autre méthode requerrait une adaptation et, par conséquent, exigerait de s'écarter de certaines caractéristiques d'une tradition, ne saurait suffire pour considérer qu'il n'existe pas une telle autre solution satisfaisante. Si le ministre de la transition écologique soutient qu'il n'existe aucune solution alternative satisfaisante au recours à l'emploi de matoles ou de pantes pour la chasse à l'alouette des champs dans ces départements, il ressort tant des motifs des arrêtés du 4 octobre 2022 que des écritures des parties et des débats à l'audience qu'au-delà de l'objectif de capture en vue de la consommation humaine, à laquelle il peut être pourvu par la chasse au tir ou par l'élevage, le motif de la dérogation prévue par le dispositif réglementaire réside principalement dans l'objectif de préserver l'utilisation d'un mode de chasse constituant une pratique traditionnelle. Le moyen tiré de ce que les arrêtés litigieux auraient été pris sur le fondement de dispositions réglementaires qui méconnaîtraient les objectifs de l'article 9 de la directive du 30 novembre 2009 ainsi que les dispositions de l'article L. 424-4 du code de l'environnement paraît donc de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur leur légalité.

11. En second lieu, la Cour de justice de l'Union Européenne a précisé, dans l'arrêt susvisé du 17 mars 2021, que la condition de sélectivité posée par l'article 9 § 1 de la directive pouvait, s'agissant d'une méthode de capture non létale, être considérée comme satisfaite " en présence de prises accessoires, pourvu néanmoins que les espèces non ciblées par cette méthode soient capturées dans de faibles quantités, pour une durée déterminée et qu'elles puissent être relâchées sans dommage autre que négligeable ". D'une part, il est constant que les prises accessoires induites par l'emploi de matoles, qui n'ont à être relevées, aux termes de l'arrêté, que deux fois par jour, s'élèvent au moins à un taux de 15 à 20 %, qui ne saurait être regardé comme caractérisant un faible volume. D'autre part, le ministre chargé de la chasse n'apporte aucun chiffre sur le volume des prises accessoires par l'emploi de pantes, se bornant à indiquer que le fait que le piège soit actionné par le chasseur suffit à éviter les prises accessoires. Il résulte toutefois des écritures produites et des débats à l'audience que les filets pouvant mesurer jusqu'à 50 m² et les oiseaux volant souvent en groupes, les prises accessoires ne peuvent être toujours évitées, d'autant que les mailles des filets, plus petites que les alouettes, ne permettent pas aux autres prises de s'échapper. Il n'est par ailleurs pas contesté que ces prises accessoires sont susceptibles de porter sur des espèces d'oiseaux protégées dont la chasse est interdite, ni établi que leur capture involontaire ne leur causerait que des dommages négligeables. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que les arrêtés litigieux auraient été pris sur le fondement de dispositions réglementaires qui méconnaîtraient l'interdiction des méthodes de prélèvement non sélectives résultant de l'article 9 de la directive du 30 novembre 2009 ainsi que des dispositions de l'article L. 424-4 du code de l'environnement paraît donc également de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur leur légalité.

12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des requêtes, que les requérantes sont fondées à demander la suspension de l'exécution des arrêtés du 4 octobre 2022 relatifs au nombre maximum d'alouettes des champs capturées à l'aide de pantes dans les départements de la Gironde, des Landes, du Lot-et-Garonne et des Pyrénées-Atlantiques et à l'aide de matoles dans les départements des Landes et du Lot-et-Garonne, pour la campagne 2022-2023.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à chacune des requérantes, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'intervention de la Fédération nationale des chasseurs et autres est admise.

Article 2 : L'exécution des arrêtés du ministre de la transition écologique du 4 octobre 2022 relatifs au nombre maximum d'alouettes des champs capturées à l'aide de pantes dans les départements de la Gironde, des Landes, du Lot-et-Garonne et des Pyrénées-Atlantiques et à l'aide de matoles dans les départements des Landes et du Lot-et-Garonne pour la campagne 2022-2023 est suspendue.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à l'association One Voice et une somme de 3 000 euros à la Ligue pour la protection des oiseaux.

Article 4 : Les requêtes n° 468151 et n° 468153 de l'association One Voice sont rejetées.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association One Voice, à l'association Ligue pour la protection des oiseaux et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée à la Fédération nationale des chasseurs, la Fédération départementale des chasseurs des Pyrénées-Atlantiques, la Fédération départementale des chasseurs du Lot-et-Garonne, la Fédération départementale des chasseurs des Landes et la Fédération départementale des chasseurs de la Gironde.

Fait à Paris, le 21 octobre 2022

Signé : Gilles Pellissier


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 21 oct. 2022, n° 468151
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN

Origine de la décision
Formation : Juge des référés
Date de la décision : 21/10/2022
Date de l'import : 26/10/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 468151
Numéro NOR : CETATEXT000046488546 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2022-10-21;468151 ?
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