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21/10/2022 | FRANCE | N°464968

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 21 octobre 2022, 464968


Vu la procédure suivante :

La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a saisi le tribunal administratif de Poitiers, en application de l'article L. 52-15 du code électoral, sur le fondement de sa décision du 21 février 2022 rejetant le compte de campagne de Mme B... D... et M. C... A..., candidats aux élections départementales qui se sont déroulées les 20 et 27 juin 2021 dans le canton de Saintonge Estuaire.

Par un jugement n° 2200614 du 17 mai 2022, le tribunal administratif de Poitiers a, d'une part, jugé que le compte de c

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Vu la procédure suivante :

La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a saisi le tribunal administratif de Poitiers, en application de l'article L. 52-15 du code électoral, sur le fondement de sa décision du 21 février 2022 rejetant le compte de campagne de Mme B... D... et M. C... A..., candidats aux élections départementales qui se sont déroulées les 20 et 27 juin 2021 dans le canton de Saintonge Estuaire.

Par un jugement n° 2200614 du 17 mai 2022, le tribunal administratif de Poitiers a, d'une part, jugé que le compte de campagne de Mme D... et M. A... a été rejeté à bon droit et, d'autre part, sur le fondement de l'article L. 118-3 du code électoral, les a déclarés inéligibles pour une durée de six mois.

Par une requête, enregistrée le 14 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 21 février 2022 de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ;

3°) d'enjoindre à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, sous astreinte de 400 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, à titre principal, d'abandonner toutes poursuites à l'encontre de M. A... et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code électoral ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Guillarme, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Cécile Raquin, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. À l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées le 20 juin 2021 dans le canton de Saintonge Estuaire (Charente-Maritime) en vue de la désignation des conseillers départementaux, Mme D... et M. A... ont obtenu 11,23 % des suffrages exprimés. Par une décision du 21 février 2022, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté le compte de campagne présenté par Mme D... et M. A... pour défaut de présentation par un expert-comptable, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 52-12 du code électoral. La Commission a également saisi le tribunal administratif de Poitiers, juge de l'élection, en application des dispositions de l'article L. 52-15 du code électoral. M. A... relève appel du jugement du 17 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a, d'une part, confirmé le rejet de son compte de campagne et, d'autre part, l'a déclaré inéligible pour une durée de six mois en application des disposions de l'article L. 118-3 du code électoral.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques du 21 février 2022 :

2. Lorsqu'il est saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques dans les conditions prévues à l'article L. 52-15 du code électoral, il appartient seulement au juge de l'élection de se prononcer sur l'éligibilité du candidat concerné et, le cas échéant d'annuler son élection, mais non d'annuler la décision de la commission établissant son compte de campagne. Il s'ensuit que les conclusions de la requête de M. A... tendant à l'annulation de la décision du 21 février 2022 de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ne peuvent qu'être rejetées.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. En premier lieu, dans l'intérêt d'une bonne justice, le juge administratif a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci. Il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser. S'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser. Dans le cas particulier où cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision.

4. Il ressort des pièces de la procédure devant le tribunal administratif de Poitiers que Mme D... et M. A... ont, postérieurement à la clôture de l'instruction, déposé une note en délibéré dans laquelle ils faisaient valoir un nouveau moyen tiré de ce qu'ils n'avaient pas été mis en mesure de présenter leurs observations devant la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Toutefois, il n'est ni établi ni même allégué par le requérant qu'ils n'étaient pas en mesure de faire état de ce moyen avant la clôture de l'instruction. M. A... n'est, par suite, pas fondé à soutenir que les premiers juges auraient méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure en ne rouvrant pas l'instruction.

5. En second lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait insuffisamment motivé son jugement en ne répondant pas au nouveau moyen soulevé par Mme D... et M. A... dans leur note en délibéré ne peut qu'être écarté.

Sur la régularité de la saisine de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques :

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 52-14 du code électoral : " Il est institué une autorité administrative indépendante dénommée Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. / Cette commission comprend neuf membres nommés, pour cinq ans, par décret : / - trois membres ou membres honoraires du Conseil d'Etat, désignés sur proposition du vice-président du Conseil d'Etat, après avis du bureau ; / - trois membres ou membres honoraires de la Cour de cassation, désignés sur proposition du premier président de la Cour de cassation, après avis du bureau ; / - trois membres ou membres honoraires de la Cour des comptes, désignés sur proposition du premier président de la Cour des comptes, après avis des présidents de chambres. / En cas de vacance, il est pourvu à la nomination, dans les conditions prévues au présent article, d'un nouveau membre, de même sexe que la personne qu'il remplace. / Le mandat de membre est renouvelable une fois. / Le président de la commission est nommé par décret du Président de la République parmi les membres pour la durée de son mandat. / (...) ".

7. Il résulte de l'instruction qu'à la date à laquelle la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a statué sur le compte de campagne déposé par M. A... et sa colistière, la composition de cette instance était conforme aux dispositions citées au point précédent. Par suite, M. A... n'est, en tout état de cause, pas fondé à soutenir que la saisine du tribunal administratif de Poitiers par la Commission serait irrégulière.

8. En second lieu, aux termes de l'article L. 52-15 du code électoral : " La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne. Elle arrête le montant du remboursement forfaitaire prévu à l'article L. 52-11-1. / (...) Lorsque la commission a constaté que le compte de campagne n'a pas été déposé dans le délai prescrit, si le compte a été rejeté ou si, le cas échéant après réformation, il fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales, la commission saisit le juge de l'élection. / (...) ".

9. Si M. A... soutient qu'il n'a pas été mis à même de présenter ses observations préalablement à la décision de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, il résulte de l'instruction que la rapporteure auprès de la Commission a adressé un courrier le 7 octobre 2021 à Mme D... et M. A... énonçant les irrégularités affectant leur compte de campagne et les invitant à lui communiquer leurs observations dans un délai de quinze jours puis, à défaut de réponse de leur part, un nouveau courrier le 13 janvier 2022, auquel Mme D... a répondu par une lettre parvenue à la Commission le 26 janvier 2022. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la saisine du tribunal par la CNCCFP serait irrégulière faute d'avoir été précédée de la procédure contradictoire prévue par les dispositions précitées de l'article L. 52-15 du code électoral.

Sur le bien-fondé du rejet du compte de campagne :

10. Aux termes de l'article L. 52-12 du code électoral : " I. - Chaque candidat ou candidat tête de liste soumis au plafonnement des dépenses électorales prévu à l'article L. 52-11 est tenu d'établir un compte de campagne lorsqu'il a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés ou s'il a bénéficié de dons de personnes physiques conformément à l'article L. 52-8 et selon les modalités prévues à l'article 200 du code général des impôts. / (...) / III. - Le compte de campagne est présenté par un membre de l'ordre des experts-comptables. Ce dernier met le compte de campagne en état d'examen et s'assure de la présence des pièces justificatives requises. / Cette présentation n'est pas obligatoire : / (...) / 2° Ou lorsque le candidat ou le candidat tête de liste a obtenu moins de 5 % des suffrages exprimés et que les recettes et les dépenses de son compte de campagne n'excèdent pas un montant fixé par décret. Dans ce cas, il transmet à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, à l'appui du compte de campagne, les relevés du compte bancaire ouvert en application de l'article L. 52-5 ou de l'article L. 52-6. / (...) ". En vertu de l'article D. 39-2-1-A du même code, le montant mentionné au 2° du III de l'article L. 52-12 est fixé à 4 000 euros.

11. Ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal administratif de Poitiers, il résulte des dispositions citées au point 10 que seuls les binômes de candidats aux élections départementales ayant obtenu moins de 5 % des suffrages et dont les recettes et dépenses du compte de campagne n'excèdent pas la somme de 4 000 euros sont dispensés de l'obligation de présentation de leur compte de campagne par un expert-comptable. Cette formalité, destinée à assurer un contrôle effectif des comptes de campagne par la commission dans le délai limité qui lui est imparti, est au nombre des règles substantielles relatives au financement des campagnes électorales auxquelles il ne peut être dérogé.

12. Il résulte de l'instruction que le compte de campagne de Mme D... et M. A... a fait apparaître un montant de dépenses déclarées de 1 154 euros et un montant de recettes déclarées de 1 154 euros dont 1 154 euros d'apport personnel et que les intéressés ont obtenu à l'issue des opération électorales 11,23 % des suffrages exprimés. Alors qu'ils étaient tenus, dès lors qu'ils ont obtenu plus de 5 % des suffrages exprimés, de présenter leur compte de campagne par un membre de l'ordre des experts-comptables, Mme D... et M. A... n'ont pas respecté cette règle substantielle. Par suite, c'est à bon droit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a estimé que cette irrégularité justifiait le rejet de leur compte de campagne.

Sur l'inéligibilité :

13. Aux termes de l'article L. 118-3 du code électoral : " Lorsqu'il relève une volonté de fraude ou un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales, le juge de l'élection, saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, peut déclarer inéligible : / (...) / 3° Le candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit. / L'inéligibilité mentionnée au présent article est prononcée pour une durée maximale de trois ans et s'applique à toutes les élections. Toutefois, elle n'a pas d'effet sur les mandats acquis antérieurement à la date de la décision. / En cas de scrutin binominal, l'inéligibilité s'applique aux deux candidats du binôme. / (...) ". En application de ces dispositions, en dehors des cas de fraude, le juge de l'élection ne peut prononcer l'inéligibilité d'un candidat sur le fondement de ces dispositions que s'il constate un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales. Il lui incombe à cet effet de prendre en compte l'ensemble des circonstances de l'espèce et d'apprécier s'il s'agit d'un manquement caractérisé à une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales et s'il présente un caractère délibéré.

14. En déposant un compte de campagne qui n'était pas présenté par un expert-comptable, alors que la règle applicable est dépourvue d'ambiguïté, Mme D... et M. A... ont commis un manquement caractérisé à une obligation substantielle, qui justifie que soit prononcée leur inéligibilité pour une durée de six mois. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a prononcé à leur encontre une inéligibilité d'une durée de six mois.

15. Il résulte de ce qui précède que l'ensemble des conclusions de la requête de M. A... doivent être rejetées, y compris celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. C... A..., à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée à Mme B... D... et au préfet de la Charente-Maritime.

Délibéré à l'issue de la séance du 7 octobre 2022 où siégeaient : M. Olivier Japiot, président de chambre, présidant ; M. Benoît Bohnert, conseiller d'Etat et M. David Guillarme, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 21 octobre 2022.

Le président :

Signé : M. Olivier Japiot

Le rapporteur :

Signé : M. David Guillarme

La secrétaire :

Signé : Mme Pierrette Kimfunia


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 464968
Date de la décision : 21/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 21 oct. 2022, n° 464968
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Guillarme
Rapporteur public ?: Mme Cécile Raquin

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:464968.20221021
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