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29/06/2020 | FRANCE | N°417940

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 29 juin 2020, 417940


Vu la procédure suivante :

Par un arrêt n° 16/01841 du 29 juin 2017, enregistré au greffe du tribunal administratif de Grenoble le 16 août 2017, la cour d'appel de Chambéry a sursis à statuer et saisi le tribunal administratif de Grenoble de la question de la légalité de la décision du 6 novembre 2012 par laquelle l'inspecteur du travail de la 1ère section de l'unité territoriale de la Haute-Savoie a autorisé la société Papeteries du Léman à licencier M. C... D.... Par un jugement n° 1705010 du 22 janvier 2018, le tribunal administratif a déclaré que cette décision

était entachée d'illégalité.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complé...

Vu la procédure suivante :

Par un arrêt n° 16/01841 du 29 juin 2017, enregistré au greffe du tribunal administratif de Grenoble le 16 août 2017, la cour d'appel de Chambéry a sursis à statuer et saisi le tribunal administratif de Grenoble de la question de la légalité de la décision du 6 novembre 2012 par laquelle l'inspecteur du travail de la 1ère section de l'unité territoriale de la Haute-Savoie a autorisé la société Papeteries du Léman à licencier M. C... D.... Par un jugement n° 1705010 du 22 janvier 2018, le tribunal administratif a déclaré que cette décision était entachée d'illégalité.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 février et 6 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Les Papeteries du Léman demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de mettre à la charge de M. D... la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de commerce ;

- le code du travail ;

- l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Eric Thiers, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Les Papeteries du Lémanet à la SCP Didier, Pinet, avocat de M. D... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 6 novembre 2012, l'inspecteur du travail de la 1ère section de l'unité territoriale de la Haute-Savoie a autorisé la société Papeteries du Léman (PDL) à licencier M. D..., salarié protégé. A la suite de son licenciement, M. D... a demandé au conseil de prud'hommes d'Annemasse de déclarer son licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, et de l'indemniser. Par un jugement du 8 août 2016, le conseil des prud'hommes a rejeté sa demande. Sur appel de M. D..., la cour d'appel de Chambéry a sursis à statuer et saisi le tribunal administratif de Grenoble de la question de la légalité de la décision de l'inspecteur du travail. La société PDL se pourvoit en cassation contre le jugement du 22 janvier 2018 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a déclaré que cette décision était entachée d'illégalité.

2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière. Pour apprécier la réalité des motifs économiques allégués à l'appui d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé présentée par une société qui fait partie d'un groupe, l'autorité administrative est tenue de faire porter son examen sur la situation économique de l'ensemble des sociétés du groupe intervenant dans le même secteur d'activité que la société en cause. A ce titre, le groupe s'entend, ainsi qu'il est dit au I de l'article L. 2331-1 du code du travail, de l'ensemble constitué par les entreprises placées sous le contrôle d'une même entreprise dominante dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce. Toutes les entreprises ainsi placées sous le contrôle d'une même entreprise dominante sont prises en compte, quel que soit le lieu d'implantation de leur siège, tant que ne sont pas applicables à la décision attaquée les dispositions introduites par l'article 15 de l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail à l'article L. 1233-3 du code du travail en vertu desquelles seules les entreprises implantées en France doivent alors être prises en considération.

3. Lorsque le juge administratif est saisi d'un litige portant sur la légalité de la décision par laquelle l'autorité administrative a autorisé le licenciement d'un salarié protégé pour un motif économique ou a refusé de l'autoriser pour le motif tiré de ce que les difficultés économiques invoquées ne sont pas établies et qu'il se prononce sur le moyen tiré de ce que l'administration a inexactement apprécié le motif économique, il lui appartient de contrôler le bien-fondé de ce motif économique en examinant la situation de l'ensemble des entreprises du groupe intervenant dans le même secteur d'activité dans les conditions mentionnées au point précédent.

4. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a constaté que la société PDL était détenue, avec la société Papeteries des Vosges (PDV), par la société PVL Holdings, elle-même détenue indirectement par M. A... B... et que M. B... détenait également plusieurs autres sociétés dont les activités étaient proches de celles de la société PDL. Le tribunal administratif en a déduit qu'" en limitant le périmètre d'examen des difficultés économiques invoquées par l'employeur de M. D... au groupe PVL, comprenant les sociétés PDL et PDV, et en s'abstenant de rechercher si, parmi les autres sociétés détenues par M. A... B..., certaines oeuvraient dans le même secteur d'activité que la société PDL (...), l'inspecteur du travail avait commis une erreur d'appréciation dans la définition du périmètre d'examen des difficultés économiques alléguées par la société PDL ". En se bornant à examiner les conditions dans lesquelles l'inspecteur du travail avait apprécié la définition de ce périmètre pour déclarer illégale sa décision alors qu'il lui appartenait de contrôler lui-même le bien-fondé du motif économique invoqué pour licencier M. D... par l'examen de la situation de l'ensemble des entreprises du groupe intervenant dans le même secteur d'activité, le tribunal administratif a méconnu son office. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le jugement attaqué doit être annulé.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. Toutefois, pour permettre aux parties de débattre, au vu des éléments mentionnés aux points 2 et 3 de la présente décision, du bien-fondé de l'appréciation portée par l'inspecteur du travail sur le motif économique, il y a lieu de surseoir à statuer et de rouvrir l'instruction afin de permettre un débat contradictoire.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble en date du 22 janvier 2018 est annulé.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la question préjudicielle renvoyée par la cour d'appel de Chambéry et sur l'ensemble des conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Papeteries du Léman, à M. C... D... et à la ministre du travail.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 417940
Date de la décision : 29/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Appréciation de la légalité

Analyses

66-07-01-04-03 TRAVAIL ET EMPLOI. LICENCIEMENTS. AUTORISATION ADMINISTRATIVE - SALARIÉS PROTÉGÉS. CONDITIONS DE FOND DE L'AUTORISATION OU DU REFUS D'AUTORISATION. LICENCIEMENT POUR MOTIF ÉCONOMIQUE. - APPRÉCIATION DE LA RÉALITÉ DES MOTIFS ÉCONOMIQUES LORSQUE LA SOCIÉTÉ FAIT PARTIE D'UN GROUPE - 1) NOTION DE GROUPE - ENSEMBLE DES ENTREPRISES PLACÉES SOUS LE CONTRÔLE D'UNE MÊME ENTREPRISE DOMINANTE (ART. L. 233-1, I ET II DE L'ART. L. 233-3 ET ART. L. 233-16 DU CODE DE COMMERCE) [RJ1] - PRISE EN COMPTE DES ENTREPRISES NON IMPLANTÉES EN FRANCE - A) ETAT DU DROIT ANTÉRIEUR À L'ORDONNANCE DU 22 SEPTEMBRE 2017 - EXISTENCE - B) ETAT DU DROIT POSTÉRIEUR - ABSENCE - 2) OFFICE DU JUGE - CONTRÔLE DU BIEN-FONDÉ DU MOTIF ÉCONOMIQUE [RJ2].

66-07-01-04-03 En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière.... ,,1) Pour apprécier la réalité des motifs économiques allégués à l'appui d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé présentée par une société qui fait partie d'un groupe, l'autorité administrative est tenue de faire porter son examen sur la situation économique de l'ensemble des sociétés du groupe intervenant dans le même secteur d'activité que la société en cause. A ce titre, le groupe s'entend, ainsi qu'il est dit au I de l'article L. 2331-1 du code du travail, de l'ensemble constitué par les entreprises placées sous le contrôle d'une même entreprise dominante dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.... ,,a) Toutes les entreprises ainsi placées sous le contrôle d'une même entreprise dominante sont prises en compte, quel que soit le lieu d'implantation de leur siège, tant que ne sont pas applicables à la décision attaquée les dispositions introduites par l'article 15 de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 à l'article L. 1233-3 du code du travail b) en vertu desquelles seules les entreprises implantées en France doivent alors être prises en considération.,,,2) Lorsque le juge administratif est saisi d'un litige portant sur la légalité de la décision par laquelle l'autorité administrative a autorisé le licenciement d'un salarié protégé pour un motif économique ou a refusé de l'autoriser pour le motif tiré de ce que les difficultés économiques invoquées ne sont pas établies et qu'il se prononce sur le moyen tiré de ce que l'administration a inexactement apprécié le motif économique, il lui appartient de contrôler le bien-fondé de ce motif économique en examinant la situation de l'ensemble des entreprises du groupe intervenant dans le même secteur d'activité dans les conditions mentionnées au point précédent.... ,,Dès lors, méconnaît son office le juge de l'excès de pouvoir qui, pour déclarer illégale la décision d'un inspecteur du travail, se borne à examiner les conditions dans lesquelles ce dernier a apprécié la définition du périmètre du groupe, alors qu'il lui appartient de contrôler lui-même le bien-fondé du motif économique invoqué pour justifier le licenciement du salarié protégé par l'examen de la situation de l'ensemble des entreprises du groupe intervenant dans le même secteur d'activité.


Références :

[RJ1]

Rappr., s'agissant de l'appréciation de la notion de moyens du groupe dans le cadre du contrôle d'un plan de sauvegarde de l'emploi, CE, 7 février 2018, Société Tel and Com et autres, n° 397900, p. 21.,,

[RJ2]

Comp., s'agissant de l'office du juge saisi d'une décision d'homologation d'un plan de sauvegarde de l'emploi, CE, 13 juillet 2016, Société PIM Industries et autre - Ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, n°s 387448 387489, T. pp. 902-978.


Publications
Proposition de citation : CE, 29 jui. 2020, n° 417940
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Eric Thiers
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER ; SCP DIDIER, PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:417940.20200629
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