TROISIÈME SECTION
AFFAIRE NAZARENKO c. LETTONIE
(Requête no 76843/01)
ARRÊT
STRASBOURG
1er février 2007
DÉFINITIF
01/05/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Nazarenko c. Lettonie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. B.M. Zupančič, président, J. Hedigan, C. Bîrsan, V. Zagrebelsky, Mme A. Gyulumyan, M. E. Myjer, Mme I. Ziemele, juges, et de M. V. Berger, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 janvier 2007,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 76843/01) dirigée contre la République de Lettonie et dont un ressortissant de cet État, M. Eduards Nazarenko (« le requérant »), a saisi la Cour le 5 septembre 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement letton (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mme I. Reine.
3. Le 16 septembre 2004, le président de la section concernée de la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Le 23 mars 2006, la Cour a décidé d'appliquer l'article 29 § 3 de la Convention et d'examiner en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4. Le requérant est un ressortissant letton né en 1968 et résidant à Riga (Lettonie). Avant son arrestation en 2000, il était inspecteur de police.
5. Le 17 septembre 1999, l'unité compétente de la police ouvrit une enquête pénale concernant un épisode de corruption passive (kukuļņemšana) qui aurait impliqué le requérant. Le 29 mars 2000, la police termina l'enquête et transmit le dossier au parquet pour instruction. Toutefois, le 4 avril 2000, le procureur compétent ordonna la clôture et le classement sans suite de l'affaire pour insuffisance de preuves.
6. Le 29 septembre 2000, la police de sécurité (Drošības policija) ouvrit une deuxième enquête pénale, concernant un autre épisode de corruption passive. Selon la police, le requérant avait réclamé une somme d'argent à une personne mise en cause dans une autre affaire pénale, promettant en contrepartie de classer cette dernière. Le même jour, cette personne remit à un tiers désigné par le requérant des billets de banque préalablement marqués par la police de sécurité. Tant le requérant que le tiers susmentionné furent alors immédiatement interpellés et placés en garde à vue. Le requérant fut déclaré suspect (aizdomās turētais) d'avoir commis une tentative de corruption passive aggravée, délit réprimé par l'article 320 § 2 du code pénal et passible de dix ans d'emprisonnement.
7. Le 2 octobre 2000, le requérant fut mis en examen du chef du délit susvisé, puis traduit devant le tribunal de première instance de l'arrondissement de Latgale de la ville de Riga, qui ordonna sa détention provisoire pour une période initiale de onze jours, c'est-à-dire jusqu'au 13 octobre 2000. Le requérant attaqua cette ordonnance par voie d'un recours devant la cour régionale de Riga, qui, le 20 octobre 2000, le débouta et confirma le bien-fondé de la détention en cause.
8. Le 10 octobre 2000, le requérant demanda au procureur compétent de modifier la mesure préventive appliquée par le juge et de le libérer. A une date non précisée, cette demande fut rejetée.
9. Le 11 octobre 2000, le chef d'inculpation du requérant fut modifié, et celui-ci se vit reprocher l'infraction réprimée par le paragraphe 3 du même article 320 (corruption passive particulièrement aggravée), passible de quinze ans d'emprisonnement.
10. Par une ordonnance du 12 octobre 2000, rendue à la suite d'un réquisitoire écrit du parquet, le tribunal de l'arrondissement de Latgale, siégeant en une formation de juge unique, prolongea la détention provisoire du requérant jusqu'au 29 novembre 2000. Cette ordonnance était ainsi motivée :
« Après avoir entendu les observations du procureur, qui requiert la prolongation du délai de la détention jusqu'au 29 novembre 2000, et les observations de l'avocat (...) qui demande le rejet du réquisitoire du procureur, j'estime qu'il y a lieu de prolonger le délai de la détention de E. Nazarenko, eu égard à la gravité de l'infraction commise, au poste occupé par la personne accusée, et compte tenu qu'il est nécessaire d'effectuer une série de mesures d'instruction. »
11. Le requérant attaqua cette ordonnance devant la cour régionale de Riga qui, par une ordonnance définitive du 24 octobre 2000, le rejeta avec une motivation pratiquement identique à celle de l'ordonnance entreprise.
12. Entre-temps, les 16 et 23 octobre 2000, le requérant demanda, de nouveau, au procureur compétent de modifier la mesure préventive appliquée par le juge et de le libérer. Par des lettres des 26 et 30 octobre, le procureur le débouta.
13. Le 27 octobre 2000, le requérant écrivit au parquet spécialisé du crime organisé et des autres domaines (Organizētās noziedzības un citu nozaru specializētā prokuratūra), sollicitant l'autorisation d'écrire à sa femme et d'en recevoir des lettres. Par un courrier du 7 novembre 2000, le procureur compétent lui répondit dans les termes suivants :
« Eu égard au fait que l'instruction préliminaire est en cours et que les mesures d'instruction urgentes n'ont pas encore été achevées, il n'est pas opportun d'autoriser l'accusé à correspondre avec d'autres personnes, y compris les membres de sa famille (l'épouse). Votre demande est [donc] rejetée. Je vous informe que cette question pourra être examinée de nouveau une fois les mesures d'instruction en question effectuées. »
14. Le 16 novembre 2000, la femme du requérant demanda au procureur l'autorisation de rendre visite à son mari en prison. L'autorisation fut accordée, et, le 23 novembre 2000, la visite eut lieu. Plus tard, la femme du requérant lui rendit visite les 12 février et 14 juin 2001 et les 27 août et 3 décembre 2002.
15. Par une ordonnance rendue le même jour, le 23 novembre 2000, le tribunal de l'arrondissement de Latgale prolongea la détention provisoire du requérant jusqu'au 29 janvier 2001. Les motifs de cette ordonnance étaient ainsi libellés :
« E. Nazarenko a été mis en examen du chef d'un délit grave ; il ne se reconnaît pas coupable. Il est probable qu'une fois en liberté, il pourrait empêcher l'établissement de la vérité dans l'affaire pénale [et] se soustraire à l'instruction et au procès. »
16. Contre cette ordonnance, le requérant forma un recours devant la cour régionale de Riga. Le 12 décembre 2000, la cour régionale rejeta son recours dans les termes suivants :
« Après avoir entendu les explications des parties et après avoir pris connaissance des pièces du dossier, [la cour] constate que le recours n'est pas fondé et doit être rejeté, et que l'ordonnance [entreprise] doit être laissée sans modification ; [en effet], eu égard à la gravité de l'accusation [et] à la personnalité de l'accusé, on peut raisonnablement craindre qu'une fois en liberté, il pourrait empêcher l'établissement de la vérité dans l'affaire pénale [et] se soustraire à l'instruction préliminaire. »
17. Le 7 décembre 2000, le parquet général annula la décision du 4 avril 2000 ordonnant le classement de la première enquête pénale concernant le requérant (paragraphe 5 ci-dessus), et rouvrit cette enquête. Le 20 février 2001, les deux affaires de corruption furent jointes en un seul dossier d'instruction.
18. Par deux ordonnances des 23 janvier et 23 mars 2001, le tribunal de l'arrondissement de Latgale prolongea la détention provisoire du requérant jusqu'aux 29 mars et 29 mai 2001 respectivement. La motivation de ces ordonnances était similaire, sinon identique, à celle de l'ordonnance du 23 novembre 2000. Le requérant les attaqua par voie de recours devant la cour régionale de Riga, qui, par des ordonnances des 9 février et 20 avril 2001, le débouta, répétant en substance les motifs des décisions entreprises.
19. Le 4 mai 2001, le parquet annonça la clôture de l'instruction préliminaire et transmit le dossier de l'affaire, composé de sept volumes, au requérant, à son coaccusé et à leurs avocats, afin qu'ils puissent en prendre connaissance. Le même jour, le procureur compétent expédia au requérant une lettre dont la partie pertinente se lisait ainsi :
« La lecture des pièces du dossier de l'affaire pénale commencera le 9 mai 2001 ; à partir de ce moment et pendant tout le temps que vous consacrerez à sa lecture, le cours du délai de votre détention sera suspendu, conformément à l'article 77, cinquième alinéa, du [code de procédure pénale]. »
20. Selon le requérant, c'est à cette époque que le procureur l'autorisa enfin à avoir des contacts épistolaires avec son épouse.
21. Le 29 mai 2001, le dernier mandat de détention du requérant vint à expiration. Toutefois, celui-ci ayant entamé la lecture des pièces de l'instruction, sa libération fut « suspendue ». Il fut donc maintenu en prison.
22. Le 9 juillet 2001, le requérant termina la lecture des pièces du dossier. Son avocat adressa aussitôt au ministère public un document contenant trente-trois griefs ou demandes relatives à l'affaire, y compris une demande de mise en liberté. Par une décision du 12 juillet 2001, le procureur rejeta la plupart des prétentions de la défense, tout en faisant droit à plusieurs d'entre elles. Quant à la demande de libération du requérant, le procureur la rejeta, au motif que cette question avait déjà été plusieurs fois tranchée par la cour régionale de Riga.
23. Le même jour, le 12 juillet 2001, le parquet transmit le dossier à la cour régionale de Riga, juridiction de jugement en l'espèce. Le dossier fut assigné à l'une des juges de ladite cour ; cependant, cette magistrate étant en congé, le requérant dut attendre un mois jusqu'à ce que son affaire fût soumise à un examen préalable. Les 23 juillet et 9 août 2001, le requérant adressa à la cour régionale deux demandes d'élargissement, qui furent toutes les deux envoyées à la juge susmentionnée.
24. Le 13 août 2001, la juge compétente commença à prendre connaissance du dossier. Par une ordonnance prise le 23 août 2001, elle estima suffisantes les pièces produites par le parquet, et décida de « déférer les accusés devant le tribunal » (lēmums par apsūdzēto nodošanu tiesai). L'affaire fut donc inscrite au rôle de la cour régionale. S'agissant de la mesure préventive appliquée au requérant, la juge choisit de le maintenir en détention, sans citer un motif quelconque à cet égard. Conformément aux dispositions du code de procédure pénale en vigueur à l'époque des faits, une fois prise, cette décision devait en principe rester en vigueur jusqu'au prononcé du jugement en première instance (voir Svipsta c. Lettonie, no 66820/01, § 63, CEDH 2006-...). En revanche, le coaccusé du requérant ne fut pas incarcéré ; la juge décida de le placer sous la surveillance de la police (nodošana policijas uzraudzībā). Le requérant demanda à la juge de convoquer une audience préparatoire (rīcības sēde) afin de décider du changement éventuel de la mesure préventive, mais cette demande fut rejetée. Par ailleurs, la juge informa le requérant qu'à cause de la surcharge du rôle, l'examen du fond de son affaire ne pourrait commencer qu'en 2003.
25. Le requérant écrivit au parquet général et au département judiciaire du ministère de la Justice, se plaignant de l'absence de date fixée de l'examen de son affaire, ainsi que du refus de la juge du fond de convoquer une audience préparatoire. Les 29 et 30 août 2001 respectivement, le parquet et le ministère transmirent la plainte au président de la cour régionale de Riga. Celui-ci la renvoya, à son tour, à la juge chargée du dossier, qui, par un courrier du 5 septembre 2001, lui répondit que toutes ses décisions étaient régulières, et qu'à la lumière des pièces du dossier, elle ne voyait aucune nécessité de convoquer une audience préparatoire ou de modifier la mesure préventive appliquée au requérant. A cet égard, la juge indiqua que « [la] demande de modification de mesure préventive pourra[it] être réitérée à l'audience [sur le fond de l'affaire], qui se déroulera[it] en 2003 ; la date concrète de l'audience sera[it] annoncée plus tard ». A la même date, le 5 septembre 2001, la juge rejeta formellement les deux demandes d'élargissement présentées par le requérant les 23 juillet et 9 août 2001.
26. Le requérant s'adressa alors au Bureau national des Droits de l'Homme (Valsts Cilvēktiesību birojs), dénonçant la situation dans laquelle il se trouvait. Par une lettre du 18 septembre 2001, le directeur du Bureau déclara qu'une durée excessive de la procédure pénale constituait « une violation grossière des droits de l'homme ».
27. Le 14 septembre 2001, le requérant écrivit au président de la chambre des affaires pénales de la Cour suprême, exposant les mêmes doléances et sollicitant sa libération. Le 1er octobre 2001, le greffier de la Cour suprême renvoya sa lettre à la cour régionale de Riga. Le 11 octobre 2001, le président du collège pénal de la cour régionale répondit au requérant qu'il pourrait réitérer sa demande d'élargissement à l'audience consacrée au le fond de l'affaire, et que toutes les affaires étaient examinées par un ordre strict de leur inscription au rôle.
28. En décembre 2001, le requérant demanda à la cour régionale de Riga de l'informer de la date de l'examen de son affaire. Le 4 janvier 2002, il lui fut répondu que son affaire n'était pas encore inscrite à l'ordre du jour d'une audience. Le requérant demanda de modifier la mesure préventive appliquée à son encontre et de le libérer. Par une lettre du 25 février 2002, la juge compétente rejeta sa demande sans motivation. Peu après, cette magistrate fut promue à un poste plus élevé et le dossier fut assigné à une autre juge.
29. Le 30 juillet 2002, le requérant se plaignit au parquet général de l'application du cinquième alinéa de l'article 77 du code de procédure pénale à son égard. Il soutint notamment que cette disposition, aux termes de laquelle le temps de lecture du dossier par l'accusé et par son avocat n'entre pas dans le compte lors du calcul des délais de détention, était contraire à l'article 5 § 1 de la Convention. Par un courrier du 7 août 2002, le parquet spécialisé du crime organisé et des autres domaines refusa d'accepter ses arguments et insista sur la compatibilité de la disposition en cause avec l'article 5 § 1.
30. En août 2002, le requérant s'adressa de nouveau au Bureau national des Droits de l'Homme. Par un avis non contraignant du 30 août 2002, le Bureau l'informa qu'à ses yeux, la situation dans laquelle il se trouvait constituait une violation du droit à l'examen de l'affaire dans un délai raisonnable, garanti par l'article 6 § 1 de la Convention.
31. L'examen du fond de l'affaire pénale en question commença le 23 décembre 2002. Toutefois, ayant constaté la non-comparution du coaccusé du requérant, la juge compétente ordonna sa mise en détention provisoire et chargea la police de son arrestation. L'audience fut suspendue. Le 3 janvier 2003, elle fut reprise, mais aussitôt suspendue de nouveau en raison de la non-comparution de six témoins que la juge ordonna d'amener par la force.
32. Le fond de l'affaire fut finalement examiné à l'audience de la cour régionale de Riga du 10 janvier 2003. Par un jugement rendu à la même date, la cour reconnut le requérant coupable de corruption passive aggravée et le condamna à cinq ans d'emprisonnement ferme. Dans le dispositif du jugement, la cour précisa que toute la période de la détention provisoire du requérant, à compter du 29 septembre 2000 et jusqu'au 9 janvier 2003, s'imputait sur la durée de sa peine. Le coaccusé du requérant fut, quant à lui, condamné à deux ans et six mois d'emprisonnement.
33. Les condamnés interjetèrent appel devant la chambre des affaires pénales de la Cour suprême. Par un arrêt du 18 juin 2003, dont le texte intégral et motivé fut communiqué aux parties le 29 août 2003, la chambre rejeta les appels. Le requérant et son coaccusé se pourvurent immédiatement en cassation devant le sénat de la Cour suprême, qui, par un arrêt du 14 octobre 2003, rejeta leurs pourvois.
34. Entre-temps, en août 2003, le requérant écrivit à la Direction pénitentiaire (Ieslodzījuma vietu pārvalde), demandant l'autorisation de recevoir des visites dites « longues » (c'est-à-dire durant jusqu'à quarante-huit heures) de sa femme. Par une lettre du 7 août 2003, le chef adjoint de la Direction rejeta la demande, lui rappelant qu'avant la décision définitive sur le fond de son affaire, il n'avait pas encore le statut de « condamné » au sens du droit national ; or, seuls les condamnés pouvaient bénéficier de ce type de visites. Dans une lettre du 12 septembre 2003, adressée au requérant, le directeur du Bureau national des Droits de l'Homme exprima ses doutes quant à la compatibilité d'une telle restriction avec l'article 8 de la Convention. Le 5 décembre 2003, le requérant bénéficia enfin d'une visite « longue » de sa femme.
35. Le 15 mars 2005, ayant purgé la plus grande partie de sa peine, le requérant fut libéré.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
36. Les dispositions pertinentes du droit letton applicables à l'époque des faits sont résumées dans les arrêts suivants :
a) les dispositions relatives à la détention provisoire – dans l'arrêt Svipsta, précité, §§ 52-66) ;
b) les dispositions relatives au statut des détenus provisoires en général et des voies de recours dont ils disposaient – dans les arrêts Kornakovs c. Lettonie (no 61005/00, §§ 63-66 et §§ 73-78, 15 juin 2006), et Jurjevs c. Lettonie (no 70923/01, §§ 28-29, 15 juin 2006) ;
c) les dispositions relatives à la correspondance des détenus – dans l'arrêt Kornakovs, précité (§§ 67-70).
37. Les différents aspects de la détention sont régis par le code de l'exécution des peines (Sodu izpildes kodekss). Cependant, ce code n'est applicable qu'aux détenus déjà « condamnés » au sens du droit interne – c'est-à-dire à ceux dont la condamnation est devenue définitive – et non aux personnes placées en détention provisoire. Quant à ces dernières, à l'époque des faits relatés par le requérant, le seul texte régissant les conditions de leur détention était l'arrêté no 113 du ministre de l'Intérieur du 30 avril 1994 relatif aux modalités de détention des personnes suspectes, placées en détention provisoire ou condamnées dans les prisons d'investigation relevant du ministère de l'Intérieur (Pavēle « Par aizdomās turēto, apcietināto un notiesāto personu uzturēšanās kārtību Iekšlietu ministrijas izmeklēšanas cietumos »). Son article 53 disposait :
« Les détenus (...) peuvent entretenir la correspondance avec les membres de leur famille ou avec d'autres personnes uniquement avec l'autorisation de l'autorité chargée du dossier. (...) »
L'arrêté précité demeura en vigueur jusqu'au 9 mai 2001, date à laquelle il fut remplacé par l'arrêté no 63 du ministre de la Justice portant un nouveau règlement provisoire sur les conditions de détention provisoire.
38. Le 29 avril 2003, le conseil des ministres adopta le règlement no 211 portant règlement intérieur des prisons d'investigation (Izmeklēšanas cietumu iekšējās kārtības noteikumi), qui demeura en vigueur jusqu'au 1er avril 2006. Les dispositions pertinentes de ce texte étaient ainsi libellées :
Article 39
« Avec l'autorisation écrite de l'autorité chargée du dossier, le détenu peut se voir accorder une visite, longue d'une heure, avec les membres de sa famille ou d'autres personnes, et ce, en présence d'un représentant de la prison d'investigation. La visite ne peut pas accordée plus qu'une fois par mois. Le refus de l'autorisation de visite doit être motivé. »
Article 40
« L'autorisation écrite doit indiquer qui est autorisé à recevoir une visite et l'identité du visiteur. Le détenu ne peut pas être autorisé à rencontrer plus de deux personnes à la fois. L'autorisation donnée par l'autorité chargée du dossier n'est valable que pour une seule visite au cours d'un mois. Elle doit porter le sceau de l'autorité de l'instruction. »
39. En revanche, l'article 45 du code de l'exécution des peines accorde aux détenus définitivement condamnés deux types de visites : les visites courtes (d'une à deux heures) et les visites longues (de six à quarante-huit heures). Ces dernières peuvent être autorisées à l'égard des « proches », c'est-à-dire du conjoint, des parents, des grands-parents, des enfants, des petits-enfants, des frères et des sœurs. Au cours d'une visite « longue », les visiteurs peuvent demeurer ensemble avec le détenu dans un local spécialement aménagé de la prison.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION
40. Le requérant se plaint de l'application, à son égard, de l'article 77, cinquième alinéa, du code de procédure pénale. Selon lui, la « suspension » du cours normal du délai de sa détention provisoire entre le 29 mai et le 23 août 2001 a rendu sa privation de liberté irrégulière au sens de l'article 5 § 1 de la Convention. Les parties pertinentes de cette disposition se lisent ainsi :
« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
c) s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci ;
A. Sur la recevabilité
41. Le Gouvernement rappelle que, depuis le 1er juillet 2001, la Cour constitutionnelle est compétente pour examiner les recours individuels émanant des particuliers et mettant en cause la constitutionnalité ou la compatibilité hiérarchique des lois et des règlements (voir Grišankova et Grišankovs c. Lettonie (déc.), no 36117/02, CEDH 2003-II). Par ailleurs, c'est exactement à cause d'un recours pendant devant la Cour constitutionnelle que le Parlement a finalement décidé, en 2005, d'abroger la deuxième phrase de l'article 77, cinquième alinéa, du code de procédure pénale (voir Kornakovs, précité, § 59). Vu le fait que le recours constitutionnel a été ouverte aux particuliers, justement, pendant le laps de temps litigieux, le requérant pouvait demander à la Cour constitutionnelle d'annuler la disposition législative lui faisant grief. S'il l'avait fait et si la Cour constitutionnelle avait fait droit à son recours, « le tribunal ayant examiné son affaire devrait inclure la période susmentionnée dans la durée officielle de la détention, ce qui, à son tour, affecterait la durée de sa peine d'emprisonnement ». Ayant omis de le faire, le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes, au sens de l'article 35 § 1 de la Convention.
42. Le requérant soutient qu'il a effectivement essayé de saisir la Cour constitutionnelle d'un recours visant à annuler l'article 77, cinquième alinéa, litigieux, mais que ce recours a été déclaré irrecevable.
43. Comme la Cour l'a déjà jugé dans l'arrêt Kornakovs précité, dans les circonstances similaires à celles de la présente affaire, le recours constitutionnel indiqué par le Gouvernement ne constitue pas un recours interne à épuiser au sens de l'article 35 § 1 de la Convention. En effet, le seul recours sur lequel le Gouvernement pourrait fonder le non-épuisement serait un recours accessible au requérant lors de son incarcération et susceptible d'aboutir à sa libération pendant la période litigieuse (loc. cit., § 84) ; or, le Gouvernement n'a pas fait état de l'existence d'un tel recours à l'époque des faits. Par ailleurs, la Cour comprend mal la thèse du Gouvernement relative à l'imputation du délai de la détention provisoire du requérant sur celle de sa peine d'emprisonnement ; en effet, elle constate que cette imputation a eu lieu indépendamment de la question de régularité de la détention litigieuse (paragraphe 32 ci-dessus).
44. Dans ces circonstances, la Cour ne saurait conclure au non-épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne la détention provisoire du requérant. Il y a donc lieu de rejeter l'exception du Gouvernement et de déclarer recevable le grief tiré de l'article 5 § 1 de la Convention.
B. Sur le fond
45. Le Gouvernement rappelle que le maintien du requérant en prison pendant la période en cause avait pour base une disposition législative claire, à savoir l'article 77, cinquième alinéa, du code de procédure pénale alors en vigueur. En particulier, le délai de la détention provisoire du requérant a été suspendu le 9 mai 2001, c'est-à-dire vingt jours avant l'expiration du dernier mandat de dépôt délivré à son encontre. Lorsque le requérant termina la lecture de son dossier, le 9 juillet 2001, le délai en question a recommencé à courir ; il a donc expiré le 29 juillet 2001. Or, le parquet a envoyé le dossier au juge du fond avant cette date. Dans ces conditions, le Gouvernement est convaincu que les exigences de l'article 5 § 1 de la Convention on été remplies en l'espèce.
46. En revanche, le requérant insiste sur l'existence d'une violation de l'article 5 § 1 à son égard.
47. La Cour constate que, par une ordonnance du 23 mars 2001, confirmée en appel, le tribunal de l'arrondissement de Latgale a prolongé la détention provisoire du requérant jusqu'au 29 mai 2001. A cette dernière date, ce mandat de dépôt est venu à expiration sans être prolongé. Toutefois, le requérant n'a pas été libéré ; en effet, nul ne conteste que, du 29 mai au 23 août 2001, c'est-à-dire pendant environ trois mois, il est demeuré en prison sans qu'une décision judiciaire l'autorisât. Il ressort des explications du Gouvernement que le maintien du requérant en prison avait pour seul fondement l'article 77, cinquième alinéa, du code de procédure pénale alors en vigueur. Or, la Cour rappelle que, dans l'arrêt Svipsta précité, elle a conclu à l'incompatibilité d'une détention fondée sur la disposition susvisée avec l'article 5 § 1 de la Convention (loc. cit., §§ 86-87 ; voir également les arrêts précités Kornakovs, § 89, et Jurjevs, § 43) ; elle ne voit aucune raison de parvenir à une conclusion différente dans la présente affaire.
48. L'article 5 § 1 a donc été violé en l'espèce.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION
49. Invoquant l'article 5 § 3 de la Convention, le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire qu'il estime manifestement excessive. L'article 5 § 3 se lit comme suit :
« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience. »
A. Sur la recevabilité
50. De même que pour le grief précédent, le Gouvernement soulève une exception d'irrecevabilité tirée du non-épuisement, par le requérant, des voies de recours internes. En premier lieu, il rappelle qu'aux termes de l'article 83 du code de procédure pénale alors en vigueur, le procureur compétent avait le droit d'annuler ou de modifier une mesure préventive privative de liberté appliquée par un juge ou un tribunal au stade de l'instruction préliminaire de l'affaire. Or, même si le requérant a effectivement saisi le procureur de demandes d'élargissement fondées sur l'article 83 susmentionné, il n'a jamais attaqué le rejet de ces demandes par voie d'un recours hiérarchique devant le procureur du rang supérieur, comme le voulait l'article 222 du même code (voir Jurjevs, précité, § 29). A cet égard, le Gouvernement cite la disposition pertinente de la loi sur le parquet dont il ressort que cet organe appartient à la branche du pouvoir judiciaire.
51. En deuxième lieu, et s'agissant plus particulièrement de la détention du requérant entre le 23 août 2001 et le 10 janvier 2003, le Gouvernement cite un arrêt de la Cour constitutionnelle du 5 décembre 2001, reconnaissant l'effet direct de la troisième phrase de l'article 92 de la Constitution et déclarant que, « [l]orsque le requérant estime que ses droits ont été injustement violés, il peut, invoquant directement la troisième phrase de l'article 92 de la Constitution, saisir une juridiction ordinaire d'une demande de réparation adéquate ». Selon le Gouvernement, l'article 92, lu à la lumière de l'arrêt susmentionné, offre en lui-même un recours accessible et adéquat, susceptible de porter remède à la violation alléguée par le requérant. Les arrêts de la Cour constitutionnelle étant obligatoires pour toutes les institutions publiques, le requérant pouvait, après le 5 décembre 2001, saisir un tribunal d'une demande en indemnisation du fait de sa détention s'il l'estimait irrégulière.
52. Le requérant ne se prononce pas sur ce point.
53. S'agissant du premier volet de l'exception, la Cour reconnaît qu'en principe, lorsque, dans un système national, le parquet a le pouvoir de modifier la mesure préventive, le recours devant tous les échelons hiérarchiques compétents de cette institution peut constituer un recours à épuiser au sens de l'article 35 § 1 de la Convention (voir Zdebski et autres c. Pologne (déc.), no 27748/95, 6 avril 2000). Toutefois, selon sa jurisprudence constante, un requérant qui a utilisé une voie de droit apparemment effective et suffisante ne saurait se voir reprocher de ne pas avoir essayé d'en utiliser d'autres qui étaient disponibles mais ne présentaient guère plus de chances de succès (voir, par exemple, Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94, § 39, CEDH 1999-III). En l'espèce, la Cour relève que le requérant a introduit des recours contre toutes les ordonnances du tribunal de première instance prolongeant sa détention au stade de l'instruction préliminaire du dossier, et que la cour régionale de Riga a examiné et rejeté ces recours par des décisions contradictoires. Par ailleurs, la Cour a jugé que le parquet letton ne correspondait manifestement pas à la notion de « tribunal », au sens de l'article 5 § 4 de la Convention (voir Jurjevs, précité, §§ 59-60). Dans ces conditions, il ne serait guère raisonnable d'exiger du requérant qu'une fois définitivement débouté par les tribunaux, il suivît jusqu'au bout la procédure devant le ministère public, lui aussi partie au procès devant ces mêmes tribunaux (voir, mutatis mutandis, Ņikitenko c. Lettonie (déc.), no 62609/00, 11 mai 2006).
54. Pour ce qui est du deuxième volet de l'exception, et dans la mesure où le Gouvernement évoque une éventuelle action en indemnité directement fondée sur l'article 92 de la Constitution, la Cour rappelle que, lorsque est en jeu la légalité ou la durée de la détention, une action en indemnisation dirigée a posteriori contre l'État ne constitue pas un recours à épuiser, le droit de faire examiner par un tribunal la légalité d'une détention et celui d'obtenir une réparation étant deux droits bien distincts. Comme la Cour l'a déjà dit ci-dessus (paragraphe 43), le seul recours sur lequel le Gouvernement pourrait fonder le non-épuisement pourrait être un recours accessible au requérant et susceptible d'aboutir à sa libération pendant la période en cause ; or, le Gouvernement n'a pas fait état de l'existence d'un tel recours en droit letton à l'époque des faits (voir Kornakovs, précité, § 84).
55. Partant, la Cour rejette l'exception du Gouvernement et déclare recevable le grief du requérant tiré de l'article 5 § 3 de la Convention.
B. Sur le fond
56. Le Gouvernement nie l'existence d'une violation de l'article 5 § 3 dans la présente affaire. Selon lui, toutes les exigences définies par la jurisprudence de la Cour et relatives au caractère raisonnable d'une détention ont été remplies. En premier lieu, le Gouvernement souligne qu'il y avait en l'espèce deux enquêtes pénales jointes en un seul dossier ; cela démontre la complexité de l'affaire. En deuxième lieu, en prolongeant la détention du requérant, le tribunal de l'arrondissement de Latgale a pris en considération tous les facteurs pertinents : la personnalité du requérant ; le fait qu'en sa qualité d'ancien inspecteur de police, il possédait les connaissances nécessaires pour altérer les preuves et influencer les témoins ; le refus de coopération de sa part à certains moments de l'instruction, etc. Le Gouvernement soutient également que les autorités ont fait preuve d'une diligence suffisante ; en effet, il ne leur a fallu que neuf mois pour terminer l'instruction et, pendant cette période, elles n'ont commis aucun retard. Le Gouvernement reconnaît enfin que la cour régionale de Riga a attendu environ un an et quatre mois avant de commencer l'examen du fond de l'affaire. Toutefois, il n'estime pas que ce délai eût été excessif, vu notamment le fait qu'à cette époque, le code de procédure pénale n'autorisait pas un juge à examiner deux affaires à la fois.
57. Le requérant maintient que sa détention prolongée a enfreint l'article 5 § 3. Selon lui, il n'y avait aucune raison de considérer qu'il se soustrairait à l'instruction et au procès. A cet égard, il souligne qu'il est marié et père de deux enfants mineurs, qu'il a toujours eu une résidence stable, que, lorsqu'il était agent de police, sa réputation professionnelle avait été irréprochable, et que son travail exemplaire avait même été deux fois récompensé par le ministère de l'Intérieur. La référence à sa personnalité ne pouvait donc pas justifier son maintien en détention.
58. La Cour renvoie aux principes fondamentaux se dégageant de sa jurisprudence et déterminant le caractère raisonnable d'une détention, au sens de l'article 5 § 3 (voir Lavents c. Lettonie, no 58442/00, §§ 70-71, 28 novembre 2002, et la jurisprudence y citée).
59. S'agissant de la période à prendre en considération sous l'angle de l'article 5 § 3, la Cour estime qu'elle a commencé le 29 septembre 2000, date de l'arrestation du requérant. Quant au terme de la période couverte par cette disposition, c'est la date de condamnation de l'intéressé en première instance, à savoir le 10 janvier 2003 (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 104, CEDH 2000-XI). La détention provisoire du requérant a donc duré deux ans, trois mois et onze jours. La Cour estime d'emblée que ce délai est, en tant que tel, suffisamment long pour poser problème sous l'angle de l'article 5 § 3 (voir, mutatis mutandis, Pavletić c. Slovaquie, no 39359/98, §§ 85 et 88, 22 juin 2004).
60. La Cour constate en l'occurrence que le laps de temps allant du 23 août 2001 (date à laquelle le requérant a été déféré devant le tribunal) au 23 décembre 2002 (date de la première audience sur le fond devant la cour régionale de Riga) constituait un simple « temps mort » pendant lequel aucune mesure d'instruction n'a été effectuée ; cette période d'attente a pourtant duré un an et quatre mois. Seules les raisons les plus impérieuses pourraient justifier le maintien de l'intéressé en détention pendant toute cette période, et la Cour n'a pas décelé de telles raisons en l'espèce. A cet égard, elle tient à rappeler qu'il incombe aux États contractants d'organiser eux-mêmes leurs juridictions de manière à leur permettre de répondre aux exigences de la Convention. En d'autres termes, les incidents de fonctionnement administratif des tribunaux, le surcharge de leur rôle, les congés des magistrats, la répartition des affaires entre eux, le niveau de leurs connaissances dans le domaine respectif du droit, etc., ne dépendent que de l'État défendeur et ne peuvent en aucun cas être invoqués pour justifier des retards d'une procédure pénale ou une détention provisoire prolongée (voir, sur le terrain de l'article 6 § 1 de la Convention, les arrêts précités Lavents, § 103, et Kornakovs, § 123).
61. Dans ces conditions, la Cour conclut que les autorités lettonnes n'ont pas agi avec toute la diligence requise par la situation du requérant. Il s'ensuit que, par sa durée excessive, la détention litigieuse a enfreint l'article 5 § 3 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
62. Sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de la durée de la procédure diligentée à son encontre. Les parties pertinentes de cette disposition se lisent ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
63. Le Gouvernement considère qu'à la lumière des principes élaborés par la jurisprudence de la Cour, la durée de la procédure diligentée contre le requérant n'apparaît pas excessive.
64. Le requérant maintient que son droit à l'examen de sa cause dans un délai raisonnable a été méconnu.
65. La Cour considère que la période à prendre en considération sur le terrain de l'article 6 § 1 a débuté le 29 septembre 2000, date à laquelle le requérant a été interpellé et interrogé pour la première fois en qualité de suspect. Quant au terme de cette période, la Cour estime c'est le 14 octobre 2003, date du rejet définitif de son pourvoi en cassation. La procédure litigieuse a donc duré trois ans et quinze jours, cette durée englobant l'instruction préliminaire du dossier et l'examen du bien-fondé de l'accusation par les juridictions des trois degrés.
66. La Cour rappelle que le caractère « raisonnable » de la durée d'une procédure pénale s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement de l'accusé et celui des autorités compétentes (voir Lavents, précité, § 87). Or, à la lumière de ces trois critères, et eu égard à sa jurisprudence en la matière, la Cour ne voit aucune raison de conclure que le délai critiqué ait dépassé les limites du « raisonnable », au sens de l'article 6 § 1 (voir, mutatis mutandis, Svipsta, précité, § 162). Certes, comme elle vient de le constater, aucune mesure d'instruction n'a été prise pendant le laps de temps allant du 23 août 2001 au 23 décembre 2002, c'est-à-dire pendant un an et quatre mois (paragraphe 60 ci-dessus). D'autre part, elle note la célérité avec laquelle s'est déroulé l'examen du fond de l'affaire par les juridictions des trois degrés : en effet, le requérant a été condamné en première instance en janvier 2003, il a été débouté en appel en juin 2003, et son pourvoi a été rejeté en octobre de la même année. Dans ces circonstances, la Cour admet que la durée globale de la procédure en cause peut passer pour « raisonnable ».
67. Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé ; il doit donc être déclaré irrecevable en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
68. Le requérant se plaint que le refus du procureur compétent d'autoriser sa correspondance avec sa femme, le caractère trop court et rare de ses entrevues avec celle-ci et surtout l'impossibilité de bénéficier de visites conjugales « longues » ont enfreint ses droits au titre de l'article 8 de la Convention. Dans la mesure où il est pertinent en l'espèce, cet article est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
69. Le Gouvernement considère que cette partie de la requête est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. S'agissant en premier lieu de l'interdiction de correspondance entre le requérant et son épouse, cette mesure a été prise par le procureur compétent du parquet spécialisé du crime organisé et des autres domaines le 7 novembre 2000. Or, le requérant aurait pu attaquer cette interdiction par voie d'un recours hiérarchique devant le procureur du rang supérieur, comme le voulait l'article 222 du code de procédure pénale. Ne l'ayant pas fait, il a omis d'épuiser les voies de recours internes à sa disposition. Quant aux prétendues restrictions aux visites conjugales, le Gouvernement rappelle qu'en vertu de l'article 39 du règlement intérieur des prisons d'investigation, adopté le 29 avril 2003, les personnes placées en détention provisoire ne bénéficiaient que de visites « courtes », et ce, à la différence des détenus condamnés qui avaient également le droit à des visites « longues ». Or, si le requérant estimait cette situation injuste et contraire à la Convention, il pouvait contester l'arrêté précité par voie d'un recours devant la Cour constitutionnelle (paragraphe 41 ci-dessus).
70. Pour ce qui est du fond des griefs du requérant tirés de l'article 8 de la Convention, le Gouvernement fait valoir que, même si les mesures critiquées s'analysaient en une « ingérence » dans les droits y garantis, elles étaient pleinement conformes aux exigences du paragraphe 2 du même article.
71. Selon le requérant, ses droits au titre de l'article 8 ont bel et bien été violés. En particulier, il déclare ne pas comprendre la base légale sur laquelle le procureur compétent a fondé son refus d'autoriser la correspondance entre lui et sa femme.
72. La Cour constate d'emblée que, le 7 novembre 2000, le procureur compétent a refusé d'autoriser le requérant à écrire à sa femme et à en recevoir des lettres, au motif qu'une telle correspondance serait « inopportune ». Toutefois, il apparaît que cette décision – qui, par ailleurs, n'a pas fait l'objet du recours hiérarchique prévu à l'article 222 du code de procédure pénale (voir Jurjevs, précité, § 29) –, a été prise plus de six mois avant l'introduction de la requête devant la Cour (le 5 septembre 2001 en l'espèce). La Cour estime donc que, dans la mesure où il s'agit de la correspondance du requérant avec son épouse, son grief est tardif et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
73. S'agissant des visites conjugales, la Cour n'estime pas nécessaire de se pencher spécialement sur le bien-fondé de l'exception d'irrecevabilité soulevée par le Gouvernement. Elle rappelle que, bien que toute détention régulière entraîne par sa nature une restriction à la vie privée et familiale de l'intéressé, il est essentiel au respect de la vie familiale que l'administration pénitentiaire et les autres autorités compétentes aident le détenu à maintenir un contact avec sa famille proche (voir Messina c. Italie (no 2), no 25498/94, § 61, CEDH 2000-X, et Lavents, précité, § 139). Ce principe s'applique a fortiori aux détenus non encore condamnés, qui doivent être considérés comme innocents en vertu de l'article 6 § 2 de la Convention, sauf si et dans la mesure où les exigences de l'instruction requièrent une approche différente. Dans la présente affaire, la Cour constate d'emblée qu'avant la condamnation du requérant en première instance, sa femme lui rendit visite au moins cinq fois, à savoir le 23 novembre 2000, les 12 février et 14 juin 2001 et les 27 août et 3 décembre 2002. Cependant, il ne ressort pas du dossier que l'intéressé lui-même ou son épouse eussent sollicité une telle visite en dehors des cas énumérés et que celle-ci leur eût été refusée. Ses doléances sur ce point sont donc dénuées de fondement.
74. Le requérant critique en particulier l'impossibilité de bénéficier d'entrevues dites « longues » (durant jusqu'à quarante-huit heures) avec son épouse pendant la période en cause. A cet égard, la Cour note que, selon les dispositions du droit interne applicables à l'époque des faits, les détenus condamnés à titre définitif avaient le droit à des visites « courtes » (d'une à deux heures) ou « longues » (de six à quarante-huit heures), alors que les personnes placées en détention provisoire ne pouvaient bénéficier que du premier type de rencontres (paragraphes 38-39 ci-dessus). Or, tout en considérant avec sympathie les mouvements de réforme dans plusieurs pays européens visant à améliorer les conditions pénitentiaires en facilitant les visites conjugales, la Cour rappelle que le refus ou la restriction de telles visites doit pour l'instant être tenus pour justifiés à des fins de défense de l'ordre et de prévention des infractions pénales au regard du paragraphe 2 de l'article 8 de la Convention (voir E.L.H. et P.B.H. c. Royaume-Uni, nos 32094/96 et 32568/96, décision de la Commission du 22 octobre 1997, Décisions et rapports (DR) 91, p. 61, Kalachnikov c. Russie (déc.), no 47095/99, CEDH 2001-XI, et Aliev c. Ukraine, no 41220/98, § 188, 29 avril 2003).
75. En l'occurrence, la Cour constate que, pour la première fois, le requérant a sollicité une visite conjugale « longue » en août 2003 ; sa demande a alors été rejetée au motif que, n'étant pas encore « condamné » au sens du droit interne, il ne pouvait pas bénéficier de telles visites. Cependant, après le rejet de son pourvoi en cassation, environ deux mois plus tard, il devint officiellement « condamné » et donc titulaire du droit en cause ; enfin, le 5 décembre 2003, il se vit effectivement accorder une entrevue « longue » avec sa femme. Eu égard aux délais relativement courts entre les faits susmentionnés, et compte tenu de ce que le requérant n'a jamais soutenu ne pas pouvoir bénéficier de rencontres ordinaires (« courtes ») avec sa femme pendant ce laps de temps, la Cour ne voit en l'espèce aucune apparence d'atteinte aux droits garantis par l'article 8. Ce grief est donc manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention.
76. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être déclarée irrecevable en application de l'article 35 § 4 de la Convention.
V. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
77. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Demande de radiation du casier judiciaire
78. Dans le cadre de la satisfaction équitable, le requérant demande une radiation anticipée de sa condamnation du casier judiciaire national. Le Gouvernement rétorque que l'objet de cette demande se situe manifestement en dehors de la compétence de la Cour.
79. La Cour rappelle que la Convention ne lui confère pas le pouvoir d'adresser à une Haute Partie contractante une telle injonction (voir, mutatis mutandis, Lavents, précité, § 147). Il y a donc lieu de rejeter cette demande du requérant.
B. Dommage
80. Le requérant réclame 900 lati lettons (LVL, soit environ 1 280 euros (EUR)) au titre du préjudice matériel. Selon lui, cette somme correspond au manque à gagner qu'il a subi du fait de ne pas pouvoir exercer une activité lucrative en prison, notamment pendant sa détention provisoire. Quant au dommage moral, le requérant l'évalue à 5 000 LVL (soit environ 7 110 EUR).
81. Le Gouvernement considère que le montant réclamé par le requérant au titre du préjudice matériel ne présente aucun lien de causalité avec les violations constatées ; ainsi, le requérant ne s'est jamais plaint expressément de l'impossibilité de travailler en prison. Quant au dommage moral, le Gouvernement estime qu'un constat de violation constituerait, en lui-même, une réparation suffisante. Si, néanmoins, la Cour décide à allouer au requérant une somme quelconque, celle-ci ne devrait pas dépasser les montants alloués par elle dans les affaires similaires, dirigées, notamment, contre la Lituanie.
82. La Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre les violations constatées et le dommage matériel allégué, et rejette cette demande. En revanche, elle ne saurait contester le préjudice moral subi par le requérant du fait des violations de ses droits garantis par l'article 5 de la Convention. Contrairement au Gouvernement, elle estime qu'un simple constat de violation ne suffit pas pour remédier à ce préjudice. Cela étant, et statuant en équité comme le veut l'article 41, elle considère qu'il y a lieu d'octroyer au requérant 3 000 EUR au titre du préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt.
C. Frais et dépens
83. Le requérant demande également 600 LVL pour les frais et dépens encourus devant la Cour. Selon lui, cette somme couvrirait « les frais de correspondance postale, la traduction des textes, le travail des juristes [et] le traitement et le rassemblement des pièces expédiées ».
84. Le Gouvernement s'oppose au remboursement des frais indiqués par le requérant, celui-ci n'ayant étayé ses prétentions par aucune pièce documentaire.
85. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En particulier, l'article 60 § 2 du règlement de la Cour prévoit que toute prétention présentée au titre de l'article 41 de la Convention doit être chiffrée, ventilée par rubrique et accompagnée des justificatifs nécessaires, faute de quoi la Cour peut rejeter la demande, en tout ou en partie (voir Lavents, précité, § 154). Or, en l'espèce, le requérant n'a pas exposé en détail la nature des dépens évoqués, ni ne les a étayés par un justificatif quelconque. Dans ces circonstances, la Cour estime qu'il y a lieu de rejeter ses prétentions à ce titre.
D. Intérêts moratoires
86. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l'article 5 §§ 1 et 3 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention ;
4. Dit
a) que l'État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 3 000 EUR (trois mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 1er février 2007 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Vincent Berger Boštjan M. Zupančič Greffier Président
ARRÊT NAZARENKO c. LETTONIE
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