COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE PHILIS c. GRÈCE
(Requête no12750/87; 13780/88; 14003/88)
ARRÊT
STRASBOURG
27 août 1991
En l’affaire Philis c. Grèce*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43** (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement***, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
M. R. Ryssdal, président,
Mme D. Bindschedler-Robert,
MM. F. Gölcüklü,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
C. Russo,
N. Valticos,
Mme E. Palm,
M. I. Foighel,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 21 février et 26 juin 1991,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") le 21 mai 1990, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouvent trois requêtes (no 12750/87, 13780/88 et 14003/88) dirigées contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Nicolaos Philis, avait saisi la Commission les 5 janvier 1987, 6 avril 1988 et 24 juin 1988, en vertu de l’article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration grecque reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’État défendeur aux exigences de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
2. En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a manifesté le désir de participer à l’instance. Le 27 juin 1990, le président de la Cour l’a autorisé à défendre lui-même ses intérêts, avec l’assistance d’un conseil, pendant la procédure écrite, étant entendu qu’un avocat devrait le représenter à l’audience (article 30 par. 1).
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. N. Valticos, juge élu de nationalité hellénique (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 24 mai 1990, celui-ci en a désigné par tirage au sort les sept autres membres, à savoir Mme D. Bindschedler-Robert, M. F. Gölcüklü, M. L.-E. Pettiti, M. B. Walsh, M. C. Russo, Mme E. Palm et M. I. Foighel, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).
4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté, par l’intermédiaire du greffier, l’agent du gouvernement hellénique ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et le requérant au sujet de la nécessité d’une procédure écrite (article 37 par. 1). Conformément aux ordonnances ainsi rendues, le greffier a reçu le mémoire de l’intéressé le 25 octobre 1990. Par un message télécopié du 31, l’agent du Gouvernement a indiqué qu’il n’avait plus l’intention d’en déposer un; le 14 décembre 1990, le secrétaire de la Commission a fait savoir que le délégué s’exprimerait à l’audience.
5. Le 10 juillet 1990, le président avait fixé au 19 février 1991 la date de celle-ci après avoir recueilli l’opinion des comparants par l’intermédiaire du greffier (article 38). Le 19 décembre 1990, il a en outre accordé l’assistance judiciaire au requérant (article 4 de l’addendum au règlement), lequel a désigné alors son conseil.
6. Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
MM. C. Economides, directeur
du service juridique spécial du ministère des Affaires
étrangères, agent,
N. Klamaris, professeur
à l’Université d’Athènes,
C. Chrissanthakis, maître de conférences
à l’Université d’Athènes,
Mlle A. Papathanassiou, membre du service juridique spécial
du ministère des Affaires étrangères, conseil;
- pour la Commission
Sir Basil Hall, délégué;
- le requérant et son conseil,
M. S. Perrakis, professeur de droit
à l’Université de Komotini.
La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses à ses questions, MM. Economides et Klamaris pour le Gouvernement, Sir Basil Hall pour la Commission et le requérant lui-même ainsi que son conseil, M. Perrakis.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
7. Citoyen grec, M. Philis exerce depuis 1970 la profession d’ingénieur-conseil.
A la suite d’un désaccord sur le montant des honoraires à lui verser pour un certain nombre de projets qu’il avait conçus, trois litiges s’élevèrent entre lui et les auteurs des commandes, deux personnes morales de droit public et un particulier.
A. Les procédures relatives au litige avec l’organisme de logements sociaux (Autonomos Organismos Ergatikis Katoikias - "A.O.E.K.")
1. La genèse du litige
8. De 1971 à 1975, puis de 1976 à 1978, l’A.O.E.K., organisme dépendant du ministère du Travail, conclut avec le requérant une série de contrats pour la conception de projets d’installation électromécanique et la direction des travaux correspondants. Il les dénonça en mars 1978 et refusa de payer la rémunération convenue.
9. Entre le 30 octobre 1978 et le 23 décembre 1982, l’intéressé intenta devant un juge unique de première instance d’Athènes (Monomeles Protodikeio Athinon) treize actions afin de recouvrer les honoraires dus pour la direction des travaux. En outre, il pria la Chambre technique de Grèce (Techniko Epimelitirio Ellados - "T.E.E.") d’agir en son nom quant à ceux qu’il revendiquait au titre de la conception des travaux, car elle seule avait compétence, aux termes du décret royal no 30/1956 (paragraphe 45 ci-dessous), pour réclamer en justice les honoraires des ingénieurs en se substituant à eux. La T.E.E. introduisit quatre instances, les 23 décembre 1977, 16 décembre 1978, 5 décembre 1979 et 12 janvier 1980.
10. Le 25 septembre 1979, M. Philis l’invita à en engager quatre de plus. Il renouvela sa démarche les 11 octobre et 19 novembre 1982. Par une lettre du 8 décembre 1982, la T.E.E. l’avertit du peu de chances de succès des actions supplémentaires ainsi envisagées; en conséquence, elle exigea le versement anticipé des frais de justice et le dépôt d’une garantie bancaire destinée à couvrir les dépens de la partie adverse. Le requérant jugea illégales ces conditions et somma la T.E.E. de ne plus atermoyer, en raison du danger de prescription de ses droits. Le 20 décembre 1982, il réitéra sa protestation mais consentit à fournir la garantie voulue.
Le 4 janvier 1983, la T.E.E. l’informa qu’elle avait déféré le 24 décembre 1982 à sa demande du 25 septembre 1979, mais précisa qu’elle donnerait aux actions un caractère purement déclaratoire (anagnoristikes agoges) si elle ne recevait pas le montant des frais de justice avant la première audience.
11. Entre-temps, le juge unique de première instance avait accueilli deux des actions de la T.E.E.; la cour d’appel (Efeteio) d’Athènes les avait au contraire rejetées, sur quoi la T.E.E. avait saisi la Cour de cassation (Areios Pagos). En cours de procédure, l’A.O.E.K. sollicita un sursis à statuer afin de rechercher un arrangement amiable avec le requérant.
12. Là-dessus, le Parlement adopta le 13 avril 1983, sur la base d’un projet rédigé par le ministère du Travail, la loi no 1346/1983 qui amendait et complétait certaines dispositions de la législation sociale et dont l’article 29 se lit ainsi:
"Dispositions transitoires
5. Les contrats d’entreprise ou de prestation de services indépendants, à durée déterminée ou indéterminée, conclus jusqu’au jour de la publication de la présente loi entre l’A.O.E.K. et des ingénieurs privés (...), ou des ingénieurs employés dans le secteur public ou par des personnes morales de droit public (...), sont valables nonobstant toute autre disposition légale.
Les ingénieurs (...) précités ont droit à la rémunération convenue; les dispositions (...) de la loi no 716/1977 ‘concernant les registres de chercheurs et l’attribution et la conception de projets’ ne sont pas applicables.
Les dispositions du présent paragraphe s’appliquent également aux affaires pendantes devant les juridictions de tout degré pour autant que celles-ci n’aient pas définitivement statué."
13. Après l’entrée en vigueur de la loi de 1983, l’A.O.E.K. refusa toute transaction.
Devant la Cour de cassation, M. Philis dénonça "l’ingérence du pouvoir exécutif, par le biais du pouvoir législatif", dans ses affaires pendantes en justice.
14. Par deux arrêts des 25 mai et 19 septembre 1984 (no 919/1984 et 1597/1984), la Cour de cassation jugea que la nouvelle loi visait l’ensemble des ingénieurs et ne violait donc pas le principe d’égalité. Elle ajouta que rien n’empêchait le législateur de porter atteinte à des droits de caractère civil dès lors que ce principe se trouvait respecté. Enfin, elle estima les pourvois non fondés au motif qu’ils s’appuyaient sur des dispositions abrogées.
Ces arrêts ne se trouvent pas en cause.
2. La première procédure
15. Le 13 avril 1981, la T.E.E. introduisit devant le juge unique de première instance d’Athènes une action en paiement des honoraires du requérant pour les projets conçus en 1977 et 1978 (paragraphe 8 ci-dessus).
Condamné, le 30 novembre 1981, à verser la somme de 898 697 drachmes, l’A.O.E.K. en appela du jugement le 25 janvier 1982. L’intéressé intervint dans la procédure le 26 février 1987 (paragraphe 45 ci-dessous).
16. Le 6 avril 1987, M. Philis demanda à la T.E.E. d’intenter des actions complémentaires pour obtenir la capitalisation des intérêts (article 296 du code civil) depuis 1981 et l’ajustement de sa créance en fonction du taux d’inflation (article 12 par. 10 du décret royal du 19 février 1938). Il lui reprochait en outre d’avoir attribué à son action du 13 avril 1981 un caractère déclaratoire et omis de combattre un grand nombre d’exceptions soulevées par la partie adverse.
17. La cour d’appel d’Athènes débouta l’A.O.E.K. le 23 mai 1987 (arrêt no 6324/1987). Elle estima que, depuis 1977, aucun contrat de travail ou d’entreprise ne liait le requérant à celui-ci. Au contraire, elle releva que M. Philis avait conçu les projets litigieux en qualité d’ingénieur indépendant, au sens de la loi no 716/1977 (paragraphe 12 ci-dessus), et que celle du 13 avril 1983 ne jouait donc pas en l’espèce. L’A.O.E.K. se pourvut en cassation le 7 juillet 1987.
18. Cinq jours auparavant, l’intéressé avait à nouveau invité la T.E.E. à introduire les demandes additionnelles susmentionnées (paragraphe 16 ci-dessus). Le 24 juillet, il se plaignit auprès d’elle de ce qu’elle n’avait pas encore encaissé la somme allouée le 30 novembre 1981 (paragraphe 15 ci-dessus); selon lui, le pourvoi de l’A.O.E.K. ne faisait pas obstacle à l’exécution de l’arrêt d’appel confirmant le jugement de première instance. Il protestait aussi contre l’absence de réponse à ses démarches antérieures.
19. Par une quatrième lettre, du 8 septembre 1987, M. Philis imputa à la T.E.E. la lenteur de la procédure en appel et lui réclama des explications sur la manière dont elle s’acquittait de sa tâche.
20. Dans une note du 24 novembre 1987 au conseiller juridique de la T.E.E., communiquée au requérant, l’avocat chargé de l’affaire s’exprima ainsi:
a) La T.E.E. n’a jamais engagé d’action en capitalisation d’intérêts contre l’État ou une personne morale de droit public.
b) Le décret no 676/1987 ne prévoit pas l’ajustement d’honoraires. Certes, l’arrêt précité de la cour d’appel (le seul qui nous soit favorable) admet que les projets litigieux tombaient sous le coup de la loi no 716/1977 qui, elle, ménage une telle possibilité, mais la conclusion de la cour d’appel me paraît contraire à l’article 29 par. 5 de la loi no 1346/1983 (...).
Les termes de cette disposition laissent présager la cassation de l’arrêt.
c) Plus de 20 actions intentées par nous-mêmes et M. Philis ont déjà été définitivement rejetées.
d) La T.E.E. a déjà déboursé beaucoup pour ces affaires et elle a été condamnée à plusieurs reprises aux dépens.
e) L’issue de l’affaire pendante devant la Cour de cassation est incertaine; nous perdrons probablement.
Pour les raisons énoncées ci-dessus, il me semble que la T.E.E. aurait tort de s’exposer moralement et financièrement en engageant une action en capitalisation des intérêts et en réajustement de la créance sur la base de la loi no 716/1977 avant que la Cour de cassation n’ait statué."
21. L’intéressé s’adressa derechef à la T.E.E. les 10 décembre 1987 et 15 janvier 1988.
22. Par un arrêt du 17 janvier 1989 (no 24/1989), la Cour de cassation jugea que la loi no 1346/1983 ne s’appliquait pas et débouta l’A.O.E.K. de son pourvoi.
23. Le 8 février 1989, M. Philis somma la T.E.E. de lui verser le montant accordé le 30 novembre 1981, plus les intérêts, ainsi que diverses autres sommes, de l’ordre de 13 000 000 drachmes, qu’elle n’avait pas incluses dans les réclamations présentées au début de la procédure.
Le 18 avril 1989, elle lui écrivit que la législation en vigueur ne lui permettait pas d’engager une procédure d’exécution forcée contre l’A.O.E.K., qu’une demande en réajustement de la créance serait illégale et qu’une action en consolidation des intérêts "s’avérerait manifestement dépourvue de toute base morale". Jusqu’au prononcé de l’arrêt no 24/1989, ajouta-t-elle, des doutes sérieux avaient régné quant au résultat de la procédure au principal, ce qui l’avait empêchée de présenter de telles demandes, mais l’intéressé pouvait les former lui-même au moyen d’une action oblique (article 72 du code de procédure civile, paragraphe 51 ci-dessous).
3. La deuxième procédure
24. Le 27 mars 1984, la T.E.E. réintroduisit, à la lumière de la nouvelle législation, deux des actions qu’elle avait intentées le 24 décembre 1982 (paragraphe 10 ci-dessus) devant le juge unique de première instance d’Athènes. M. Philis intervint dans la procédure.
A l’audience du 23 avril 1985, la T.E.E. les convertit en actions déclaratoires.
25. Le juge donna gain de cause au requérant, par deux jugements du 15 novembre 1985 (no 384/1985 et 385/1985), mais les 19 et 24 novembre 1986 la cour d’appel d’Athènes accueillit le recours de l’A.O.E.K. (arrêts no 9908/1986 et 10040/1986). Elle constata la prescription des droits de l’intéressé, au motif que plus de cinq ans s’étaient écoulés entre la fin de l’année budgétaire au cours de laquelle ils avaient commencé à exister et la date de la nouvelle saisine du tribunal. En réponse à la thèse contraire de la T.E.E., elle releva que les demandes initiales reposaient sur une base légale différente et n’avaient donc pu interrompre le cours de la prescription.
26. Le 6 avril 1987, M. Philis reprocha à la T.E.E. d’avoir mal défendu ses intérêts. Comme elle se refusait à se pourvoir en cassation, il le fit lui-même le 17 juin. Dans son mémoire, il précisa que le recours était dirigé aussi bien contre elle que contre l’A.O.E.K.
27. Par deux arrêts des 7 mars (no 213/1989) et 1er mai 1989 (no 450/1989), la Cour de cassation déclara irrecevables les moyens concernant la T.E.E. et rejeta le pourvoi comme mal fondé pour le surplus.
4. La troisième procédure
28. La T.E.E. ayant réintroduit, le 2 avril 1984, l’une de ses actions du 24 décembre 1982 (paragraphe 10 ci-dessus), le juge unique de première instance d’Athènes se borna à constater la prescription (jugement no 326/1985 du 16 septembre 1986).
29. Le 19 novembre 1986 (arrêt no 8671/1986), la cour d’appel d’Athènes rejeta le recours de la T.E.E.
30. Le requérant se pourvut lui-même en cassation. Son mémoire, rédigé par un avocat de son choix, contenait un certain nombre de griefs quant à la manière dont la T.E.E. assumait ses devoirs de subrogée.
Par un arrêt du 7 mars 1989 (no 214/1989), la Cour de cassation déclara le pourvoi irrecevable pour autant qu’il concernait la T.E.E. et mal fondé pour le surplus.
5. La quatrième procédure
31. En novembre 1984, l’intéressé invita la T.E.E. à intenter à nouveau certaines des actions qu’elle avait engagées de 1977 à 1980 (paragraphe 9 ci-dessus).
Dans un rapport du 18 novembre 1984 au chef du service juridique de la T.E.E., l’avocat chargé de l’affaire estima suffisantes les chances de succès et souligna qu’aucune question d’autorité de la chose jugée ne se trouvait posée par les arrêts no 919/1984 et 1597/1984 (paragraphe 14 ci-dessus) de la Cour de cassation.
32. Le 20 février 1986, M. Philis réitéra sa démarche et mit la T.E.E. en garde contre le risque de prescription des droits litigieux. Elle saisit le tribunal le 26 février, mais attribua aux actions ainsi engagées un caractère déclaratoire. Le requérant intervint dans la procédure.
Le 27 mai, le tribunal rejeta la demande par des motifs identiques à ceux des arrêts d’appel de novembre 1986 (paragraphe 25 ci-dessus).
33. L’appel formé par l’intéressé le 7 octobre 1986 demeure pendant.
B. La procédure relative au litige avec l’hôpital pour enfants de Penteli (Paidiko Nosokomeio Pentelis -"P.N.P.")
34. Le 30 octobre 1981, la Fondation nationale d’assistance et de prévention sociales (Patriotiko Idryma Koinonikis Pronoias Kai Antilipseos - "P.I.K.P.A."), organisme public dépendant du ministère de la Santé et de la Prévoyance sociale, confia à M. Philis la conception d’un projet d’extension de la chaufferie d’un de ses hôpitaux, l’hôpital pour enfants de Penteli. Devenu dans l’intervalle une personne morale de droit public, ce dernier demanda au requérant, le 23 février 1983, de modifier ses plans. Le projet, soumis dans les délais fixés, fut approuvé le 13 avril 1983.
Estimant arbitraire une réduction d’honoraires opérée par le P.N.P., le requérant pria celui-ci de réviser le mode de calcul, mais en vain. Le 24 février 1984, il s’adressa au service compétent du ministère de la Santé et de Prévoyance sociale.
35. N’ayant pas obtenu satisfaction, il assigna le P.I.K.P.A. et le P.N.P. devant la cour d’appel d’Athènes le 1er août 1984, en vertu de l’article 61 de la "loi introductive" (Eisagogikos Nomos) au code de procédure civile. Ainsi qu’elle l’y avait invité le 26 février 1985, il lui fournit, le 13 janvier 1986, la preuve de son inscription au registre des dépenses publiques, condition permettant à un ingénieur d’exécuter des travaux publics.
Le 15 juillet 1986, la cour le débouta de son action contre le P.I.K.P.A., au motif que tous les droits et obligations de ce dernier avaient été transférés au P.N.P.; elle ordonna en outre aux parties de produire des expertises relatives aux travaux accomplis par M. Philis.
36. A la demande de celui-ci, la cour d’appel tint une seconde audience le 22 septembre 1987. Elle rejeta le recours par un arrêt qui devint définitif le 16 novembre 1987: elle jugea qu’en vertu du décret royal no 30/1956, seule la T.E.E. avait qualité pour agir en recouvrement d’honoraires en se substituant à l’ingénieur (paragraphe 45 ci-dessous); elle admit cependant que le requérant pouvait raisonnablement se croire habilité à la saisir lui-même et condamna les deux parties aux frais de justice.
C. La procédure relative au litige avec A.S.
37. En novembre 1980, un entrepreneur de travaux publics, A.S., chargea l’intéressé d’élaborer un projet pour l’installation d’un système d’égouts dans la ville d’Amfilohia.
38. Par une lettre du 30 juin 1981, M. Philis sollicita le concours de la T.E.E. car A.S. avait refusé le projet et n’avait pas versé la rémunération convenue.
En septembre 1981, la T.E.E. lui répondit qu’elle souhaitait régler le différend à l’amiable.
Les négociations n’ayant pas abouti, le requérant la pressa, le 20 janvier 1982, d’agir en justice.
39. Le 30 mars 1983, il réitéra sa démarche et invita la T.E.E. à réévaluer les sommes réclamées.
Le 23 janvier 1984, il lui reprocha de ne pas avoir encore engagé l’action et d’avoir mal calculé les honoraires.
4O. La T.E.E. saisit le juge unique de première instance d’Athènes le 16 décembre 1985. Le 26 avril 1986, il lui donna en partie gain de cause; cette fois, l’intéressé n’était pas intervenu au procès.
41. La T.E.E. et A.S. attaquèrent le jugement devant la cour d’appel d’Athènes. Le 11 juin 1987, elle condamna le second à payer à la première 139 336 drachmes plus les intérêts; elle rejeta toutefois la prétention relative au réajustement de la créance, faute de précisions sur le montant sollicité (arrêt no 7439/1987).
42. Le 10 juillet 1987, M. Philis fit grief à la T.E.E. d’avoir omis de mentionner dans son mémoire les indices permettant de calculer le coefficient dudit réajustement; il lui demanda en outre d’engager une procédure d’exécution forcée de l’arrêt du 11 juin 1987.
43. Le 9 mai 1988, il s’adressa de nouveau à elle; il l’accusait d’avoir tergiversé pendant quatre ans et demi avant d’introduire l’instance, d’avoir mal calculé ses honoraires et de ne pas avoir mené à terme la procédure d’exécution forcée, de sorte qu’il n’avait rien touché.
Le 6 juillet 1988, la T.E.E. lui répondit qu’on ne pouvait la taxer de négligence et qu’il ne démontrait pas avoir subi un dommage. Elle releva qu’A.S. avait déjà payé les intérêts, ainsi que les frais de justice, et avait sollicité l’autorisation de régler le restant en dix mensualités. Elle ajouta enfin qu’il appartenait à M. Philis lui-même d’indiquer les biens saisissables d’A.S.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Constitution
44. Aux termes de l’article 20 par. 1 de la Constitution, "chacun a droit à trouver une protection légale auprès des tribunaux et peut leur exposer ses vues sur ses droits et intérêts conformément aux prescriptions de la loi".
B. Le décret royal no 30 du 31 mai 1956, réglementant le mode de paiement de la rémunération des ingénieurs en général
45. Entrent ici en ligne de compte les dispositions suivantes du décret royal susmentionné du 31 mai 1956, telles qu’elles s’appliquaient à l’époque des faits:
Article 1
"1. Les ingénieurs diplômés de l’École nationale polytechnique (...), membres de la chambre technique de Grèce (T.E.E.), ainsi que ceux qui exercent, à temps plein ou partiel, (...) conformément à la loi no 6422/1934, la profession d’ingénieur et d’architecte naval, chargés de concevoir un projet, communiquent à la T.E.E. (...) une attestation établissant leur désignation par l’auteur de la commande ainsi qu’une déclaration selon laquelle ils assument le projet; dans le cas où ce dernier est commandé par l’État ou une personne morale de droit public, [ils communiquent à la T.E.E.] la copie du document autorisant l’attribution du projet (...).
Article 2
"1. Quiconque charge les personnes visées à l’article 1 de concevoir un projet (...), dépose auprès de la T.E.E ou d’un mandataire de celle-ci (...) la totalité de la rémunération, celle-ci étant fixée par le ministère compétent ou par la T.E.E. de la manière décrite ci-après. Il ne peut la verser directement à l’ayant droit.
4. En cas de refus, entrave ou retard dans le dépôt des acomptes ou le paiement de la rémunération, la T.E.E. a qualité pour la recouvrer par la voie judiciaire (...) en étant subrogée d’office aux droits de l’ayant droit.
5. Dans ce cas, la T.E.E. doit informer l’ayant droit de l’introduction de l’instance, après quoi elle se dégage de toute responsabilité envers lui, notamment de toute obligation d’indemnisation. L’ayant droit ou la T.E.E. ont à tout moment le droit d’intervenir dans la procédure."
Article 3
"1. Les honoraires perçus sont versés par la T.E.E. sur un compte spécial. Le compte de la T.E.E. auprès de la Banque de Grèce est crédité d’une somme équivalant à 2 % de la rémunération totale. (...)
2. Après déduction des pourcentages retenus et de la taxe de licence professionnelle, la T.E.E., ou son mandataire, verse à l’ayant droit le restant de la rémunération sans intérêts.
4. L’État verse directement aux ayants droit la rémunération qu’il leur doit après avoir prélevé, au bénéfice de la T.E.E., un pourcentage de 2 % de celle-ci."
46. A l’origine, le système de subrogation institué par le décret royal no 30/1956 était destiné à protéger les ingénieurs contre les pressions tendant à réduire leurs honoraires à l’excès, mais aussi - et cela reste vrai - à garantir à leur fonds d’assurance la contribution obligatoire de 10 %, ramenée depuis lors à 2 % (article 3). Il n’entre en jeu que pour le recouvrement d’honoraires dus pour la conception de projets et non pour la direction des travaux (article 1).
Il appartient à la T.E.E. d’introduire une instance sur la base des renseignements fournis par l’ingénieur. Une fois l’action engagée, celui-ci peut intervenir (article 2) et, par le dépôt de mémoires ou même par sa présence, appuyer l’argumentation de la T.E.E. qui demeure la partie principale. L’intervention confère à l’ingénieur la faculté d’exercer lui-même les voies de recours.
47. Par un arrêt du 17 avril 1986 (no 2827/1986) la cour d’appel d’Athènes a jugé:
"(...) il s’ensuit que les dispositions précitées [article 2 paras. 4 et 5 du décret royal no 30/1956] créent non seulement un droit (pouvoir discrétionnaire), mais une obligation pour la T.E.E. de poursuivre en justice, en se substituant à l’ingénieur, le recouvrement des honoraires. Cette interprétation (...) s’accorde avec la jurisprudence dominante selon laquelle l’ayant droit n’a en aucun cas la capacité d’ester en justice pour réclamer sa rémunération. (...) Par conséquent, la T.E.E., en se conformant à cette obligation, agit non comme le représentant de l’ingénieur, mais en tant qu’autorité exerçant un droit souverain et exclusif que lui a conféré la loi (...)."
48. De son côté, la Cour de cassation, dans un arrêt no 309/1986, s’est exprimée en ces termes:
"(...) il ressort (...) des articles 1 et 2 du décret royal no 30 du 31 mai 1956 (...) que la Chambre technique de Grèce, seule habilitée à encaisser la rémunération litigieuse, est subrogée aux droits des ingénieurs sans qu’il soit nécessaire que ceux-ci en soient membres. La conclusion contraire aurait pour conséquence de déjouer le but poursuivi par les dispositions susmentionnées, qui consiste à sauvegarder les intérêts de la profession et à dissuader, en matière d’honoraires, toute concurrence nuisible à la qualité des projets conçus par les ingénieurs."
49. Par contre, dans un arrêt no 8/1988 la cour d’appel administrative de Larissa a relevé:
"(...) le décret royal no 30 du 31 mai 1956 (...) prévoit aux paragraphes 4 et 5 de son article 2: ‘(...) 5. Dans ce cas, la T.E.E. doit informer l’ayant droit de l’introduction de l’instance (...). L’ayant droit ou la T.E.E. ont à tout moment le droit d’intervenir dans la procédure.’ De ces dispositions, il résulte que la T.E.E. se trouve habilitée à poursuivre par voie judiciaire le versement de la rémunération due à un de ses membres pour la conception d’un projet seulement lorsque ce dernier ne l’a pas réclamé lui-même. Si l’ayant droit poursuit personnellement le recouvrement de ses honoraires, la T.E.E. n’a le droit que d’intervenir dans la procédure (...)."
50. La Cour de cassation a eu à se prononcer sur la demande d’indemnité d’un ingénieur qui reprochait à la T.E.E. de n’avoir pas engagé à temps, pour éviter la prescription, une action en recouvrement de ses honoraires. Elle a estimé que pareille négligence ouvrait un droit à réparation, mais seulement à partir du moment où l’action se trouvait prescrite et où la T.E.E. ne pouvait donc plus l’intenter (arrêt no 25/1988).
C. Le code de procédure civile (Kodikas politikis dikonomias)
51. De son côté, le code de procédure civile dispose:
Article 68
"Qualité pour agir des parties
Quiconque justifie d’un intérêt direct légitime peut demander la protection judiciaire."
Article 72
"Action oblique (plagiastiki agogi)
Les créanciers peuvent demander la protection judiciaire et exercer les droits de leurs débiteurs qui n’en usent pas, sauf les droits étroitement liés à la personne."
Article 80
"Intervention accessoire (apli prostheti paremvasi)
Si, lors d’un procès pendant, un tiers a intérêt à ce que l’une des parties l’emporte, il peut intervenir pour appuyer les prétentions de celle-ci jusqu’au moment du prononcé d’une décision définitive."
Article 82
"Situation procédurale de l’intervenant
L’intervenant peut effectuer tous les actes de procédure dans l’intérêt de la partie qu’il soutient et s’oblige à entériner tous ceux qui ont déjà été accomplis avant l’intervention. Ses actes sont valides tant qu’ils sont compatibles avec ceux de la partie principale (...)."
Article 83
"Intervention ‘autonome’ (aftotelis prostheti paremvasi)
Si la décision rendue dans l’instance principale affecte les rapports entre l’intervenant et la partie adverse, les dispositions des articles 76 à 78 "- portant sur la communauté d’intérêts (‘omodikia’) - "s’appliquent."
D. La jurisprudence en matière d’action oblique
52. Introduite en 1834 dans le droit grec au Livre 5 du code de procédure civile, l’action oblique tendait à l’adoption de mesures provisoires et d’ordonnances de référé. Elle se trouve actuellement régie par les dispositions générales du Livre 1er du code. On s’accorde cependant à la considérer comme une action sui generis permettant de garantir au demandeur les biens de son débiteur. Celui qui l’intente doit prouver qu’il est créancier d’un débiteur négligent; l’insolvabilité de ce dernier n’entre pas en ligne de compte pour le déclenchement de l’action.
Dans un arrêt du 6 juin 1988 (no 7892/1988) relatif à une procédure d’exécution forcée contre un débiteur, personne privée, qui venait de perdre son procès contre la T.E.E., la cour d’appel d’Athènes s’est exprimée ainsi:
"(...) il existe alors entre la T.E.E. et l’ingénieur un ‘quasi’-rapport de débiteur (la T.E.E.) à créancier (l’ingénieur), qui dure aussi longtemps que la T.E.E. a, de par la loi, l’obligation de poursuivre le recouvrement de la rémunération et de la verser par la suite au véritable ayant droit, l’ingénieur (...). (...) il résulte des dispositions précitées (article 72 du code de procédure civile) que si la T.E.E. néglige de poursuivre en justice le recouvrement des honoraires, ou d’engager une procédure d’exécution forcée pour les encaisser, (...) l’ingénieur, en qualité d’ayant droit, a un intérêt légitime à le faire à condition de préciser dans sa requête que la rémunération sera versée à la T.E.E. (...)."
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
53. M. Philis a saisi la Commission les 5 janvier 1987 (requête no 12750/87), 6 avril 1988 (requête no 13780/88) et 24 juin 1988 (requête no 14003/88). Il invoquait les articles 6, 13 et 14 (art. 6, art. 13, art. 14) de la Convention ainsi que l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Au sujet de l’article 6 (art. 6), il prétendait n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial et dans un délai raisonnable; il dénonçait en outre une atteinte à son droit d’accès à un tribunal, au motif que la T.E.E. lui avait été d’office subrogée pour réclamer la rémunération due au titre d’une série de projets qu’il avait conçus.
54. La Commission a statué sur la recevabilité des trois requêtes les 7 décembre 1988 et 11 octobre 1989. Elle a retenu les griefs relatifs au droit d’accès à un tribunal et à la durée de l’examen de la cause (article 6) (art. 6) ainsi que celui concernant l’article 13 (art. 13); elle a déclaré les autres irrecevables.
Le 8 mars 1990, elle a ordonné la jonction des requêtes en vertu de l’article 29 de son règlement intérieur. Dans son rapport du même jour (article 31) (art. 31) elle conclut:
- à l’unanimité, qu’il y a eu violation du droit d’accès du requérant à un tribunal;
- par onze voix contre deux, que la cause n’a pas été entendue dans un délai raisonnable (requête no 13780/88);
- à l’unanimité, que nulle question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 13 (art. 13).
Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt*.
EN DROIT
I. OBJET DU LITIGE
55. M. Philis invite la Cour à étudier son cas sous l’angle des articles 6, 8, 13, 14 et 17 (art. 6, art. 8, art. 13, art. 14, art. 17) de la Convention ainsi que de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), pris tant isolément que conjointement les uns avec les autres. Or la Commission n’a déclaré recevables que les griefs concernant le droit d’accès à un tribunal, la durée de la procédure et l’article 13 (art. 13). Toutefois, le requérant soutient qu’elle ne s’est pas expressément prononcée sur certaines de ses autres allégations et que la législation hellénique en la matière, à savoir la loi no 1346/1983 (paragraphe 12 ci-dessus), le décret royal no 30/1956 (paragraphe 45 ci-dessus) et les articles du code de procédure civile relatifs au paiement par avance des frais de justice, constitue une atteinte permanente aux droits garantis par la Convention.
Pour le Gouvernement et la Commission au contraire, les décisions de celle-ci sur la recevabilité délimitent l’objet du litige porté devant la Cour; or il se trouverait clairement indiqué dans le dispositif de celles des 7 décembre 1988 et 11 octobre 1989 (paragraphe 54 ci-dessus).
56. Une fois régulièrement saisie, la Cour peut connaître de chacun des problèmes de droit qui surgissent en cours d’instance à propos des faits déférés à son contrôle par un État contractant ou par la Commission: maîtresse de la qualification juridique à donner à ces faits, elle a compétence pour les examiner, si elle le juge nécessaire et au besoin d’office, à la lumière de la Convention tout entière (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Handyside du 7 décembre 1976, série A no 24, pp. 19-20, par. 41).
Eu égard à l’ensemble du dossier, elle estime pouvoir se placer aussi sur le terrain de l’article 14 (art. 14) de la Convention (paragraphe 68 ci-dessous) car le grief tiré de ce texte se rapporte aux mêmes faits que les doléances fondées sur les articles 6 et 13 (art. 6, art. 13). Elle considère en revanche, avec le Gouvernement et la Commission, que les autres articles invoqués n’entrent pas en ligne de compte.
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1)
57. Le requérant allègue deux violations de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), ainsi libellé:
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) et dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)."
Tout d’abord, il se serait vu refuser l’accès à un tribunal pour exiger la rémunération due au titre d’une série de projets qu’il avait conçus. En outre, la cour d’appel d’Athènes, saisie de son litige avec l’hôpital pour enfants de Penteli (paragraphes 34-36 ci-dessus), n’aurait pas statué "dans un délai raisonnable".
A. Accès à un tribunal
58. L’intéressé se prétend privé de son droit d’accès à un tribunal par le décret royal no 30/1956, lequel habiliterait la seule T.E.E. à introduire une demande en recouvrement d’honoraires (paragraphe 45 ci-dessus). Il se trouverait dès lors tributaire de l’intervention d’un tiers, ce qui ne lui permettrait pas d’agir au principal au moment et de la manière les plus opportuns à ses yeux, de bénéficier de l’assistance d’un conseil de son choix, de veiller au bon "ciblage" du recours, d’engager des actions subsidiaires et de réclamer réparation. Il ne pourrait participer en personne à la procédure que pour appuyer l’argumentation de la T.E.E. et n’en aurait donc pas la maîtrise effective. Le décret royal litigieux viserait en réalité à la "violation du droit d’accès des ingénieurs à un tribunal ainsi qu’à la retenue et à l’exploitation illégales de leurs honoraires"; à supposer même qu’il tende à un but légitime, une disproportion flagrante régnerait entre celui-ci et les moyens utilisés.
Le Gouvernement combat cette thèse. D’après lui, une limitation au droit des ingénieurs à saisir les tribunaux, si la Cour devait en constater l’existence, ne se heurterait pas à l’article 6 (art. 6): le décret royal ne chercherait qu’à sauvegarder les droits et intérêts des ingénieurs en leur assurant un "tarif obligatoire minimal"; en outre, les moyens employés cadreraient avec cet objectif. L’institution de la subrogation, qui aurait des racines très profondes en droit grec, aurait en la matière été adoptée à la demande expresse des ingénieurs, qui souhaitaient une protection plus efficace et active de leurs droits: en cas de non-paiement de leurs honoraires, ils hésiteraient à poursuivre leurs clients; de toute manière, ils percevraient plus aisément et rapidement le montant de leur créance grâce à son dépôt auprès d’une association professionnelle chargée de le leur verser après coup.
59. Dans ses arrêts Golder du 21 janvier 1975 et Ashingdane du 28 mai 1985 (série A no 18, p. 18, par. 36, et no 93, pp. 24-25, par. 57), la Cour a jugé que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) garantit à chacun le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil; il consacre de la sorte le "droit à un tribunal", dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir le tribunal en matière civile, constitue un aspect.
Il ne s’agit pourtant pas d’un droit absolu; appelant de par sa nature même une réglementation par l’État, il peut donner lieu à des limitations, lesquelles ne sauraient cependant restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même.
60. Ainsi que le souligne le Gouvernement, les impératifs de l’article 6 (art. 6) - directement applicable du reste dans l’ordre juridique interne grec et jouissant, aux termes de l’article 28 de la Constitution hellénique de 1975, d’une autorité supérieure à celle de la loi - sont consacrés en Grèce tant par l’article 20 de ladite Constitution (paragraphe 44 ci-dessus) que par l’article 68 du code de procédure civile (paragraphe 51 ci-dessus).
A côté de ces clauses de caractère général, la législation grecque contient pourtant aussi des normes spéciales propres à certaines catégories socio-professionnelles, tel le décret royal no 30/1956 dont l’article 2 par. 4 semble bien réserver à la T.E.E. le droit de recouvrer en justice les honoraires des ingénieurs en la subrogeant d’office à leurs droits (paragraphe 45 ci-dessus).
D’après le Gouvernement, ce texte n’empêche pas expressément les intéressés d’introduire eux-mêmes une instance; la qualité pour agir de la T.E.E. serait "parallèle" à celle des véritables bénéficiaires mais ne l’exclurait pas, sans quoi l’article 2 par. 5 du décret (paragraphe 45 ci-dessus) n’aurait pas de sens. En témoigneraient un arrêt de la cour d’appel administrative de Larissa (paragraphe 49 ci-dessus) et l’opinion d’une partie de la doctrine, selon laquelle les dispositions litigieuses ne vont pas à l’encontre de l’article 68 du code de procédure civile (paragraphe 51 ci-dessus).
61. La Cour n’a pas à apprécier en soi le système hellénique réglementant le mode de paiement de la rémunération des ingénieurs; elle se bornera donc, autant que possible, à examiner les problèmes soulevés par le cas concret dont elle se trouve saisie. A cette fin, elle doit néanmoins se pencher sur lesdites dispositions dans la mesure où l’entrave au droit individuel d’accès résulta de leur application même (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Mellacher et autres du 19 décembre 1989, série A no 169, p. 24, par. 41).
La subrogation en cause offre certes des avantages: en représentant les ingénieurs devant les tribunaux, la T.E.E. leur fournit, moyennant un léger pourcentage, les services de conseils expérimentés; elle assume en outre les frais de justice et les honoraires d’avocat, que les ingénieurs les moins fortunés auraient parfois du mal à régler. Il échet cependant de relever l’ambivalence des termes employés aux paragraphes 4 et 5 de l’article 2; elle a suscité dans la doctrine et la jurisprudence une controverse relative à leur portée. Pris à la lettre, le décret royal no 30/1956 attribue à la seule T.E.E. compétence pour agir en justice au lieu et place de l’ingénieur. La pratique existante va dans ce sens.
S’y conformant, M. Philis invita la T.E.E., à l’occasion de ses litiges avec l’A.O.E.K. et A.S., à saisir les tribunaux. Lorsqu’il assigna lui-même le P.I.K.P.A. et le P.N.P. devant la cour d’appel d’Athènes, elle le débouta pour défaut de qualité (paragraphe 36 ci-dessus).
62. Cette pratique se trouve corroborée par la jurisprudence dominante. Dans son arrêt no 2827/1986 (paragraphe 47 ci-dessus), la cour d’appel d’Athènes a jugé que "la T.E.E. (...) agit non comme le représentant de l’ingénieur, mais en tant qu’autorité exerçant un droit souverain et exclusif que lui a conféré la loi (...)". De son côté, la Cour de cassation a décidé que la subrogation d’office s’impose même aux ingénieurs non affiliés à la T.E.E. (arrêt no 309/1986 - paragraphe 48 ci-dessus). Elle a en outre admis que, dans le cas où la T.E.E. n’a pas intenté une action en recouvrement d’honoraires assez tôt pour éviter la prescription, pareille négligence ouvre un droit à réparation; elle n’a pas recherché s’il y avait partage de torts du fait que l’intéressé n’aurait pas essayé d’introduire l’instance lui-même (arrêt no 25/1988 - paragraphe 50 ci-dessus). L’arrêt de la cour d’appel administrative de Larissa, cité par le Gouvernement, semble bien être resté isolé.
63. Le Gouvernement allègue qu’en dépit du jeu de la subrogation, le requérant aurait pu se prévaloir en personne de ses droits grâce aux nombreux moyens que lui offrait la procédure civile hellénique: intervenir à titre "autonome" dans la procédure entamée par la T.E.E., possibilité dont il a d’ailleurs usé en vertu de l’article 2 par. 5 du décret royal no 30/1956, combiné avec l’article 83 du code de procédure civile (paragraphes 45 et 51 ci-dessus); former une tierce opposition (tritanakopi - article 586 du code de procédure civile) contre un jugement rendu au mépris des exigences de l’article 2 par. 5 du décret royal no 30/1956 (paragraphe 45 ci-dessus); réclamer en justice des dommages-intérêts (article 914 du code civil) à la T.E.E. qui, par son comportement, lui aurait causé un préjudice; enfin, engager une action oblique sur la base de l’article 72 du code de procédure civile (paragraphe 51 ci-dessus).
La principale condition d’exercice de cette dernière se trouverait remplie. L’ingénieur aurait le droit d’assigner ses clients de sa propre initiative en demandant que les honoraires soient versés à la T.E.E. Ce droit du véritable bénéficiaire dériverait des normes relatives à la subrogation et naîtrait avec le droit de l’intéressé à toucher sa rémunération.
64. Cette argumentation ne convainc pas la Cour.
Intervention et tierce opposition n’entrent en ligne de compte qu’une fois la procédure déclenchée par la T.E.E. L’action en réparation, elle, permet à l’ingénieur de revendiquer une indemnité, mais non ses honoraires en tant que tels.
Quant à l’action oblique, la jurisprudence dominante des juridictions grecques montre que la clause générale de l’article 72 du code de procédure civile ne prime pas la disposition spéciale de l’article 2 par. 4 du décret royal no 30/1956, quand bien même la T.E.E. pourrait être considérée comme débitrice envers l’ingénieur avant le paiement de la rémunération. La Cour relève en particulier, avec la Commission, que l’unique arrêt invoqué par le Gouvernement à l’appui de sa thèse concernait l’exécution forcée d’un jugement qui avait définitivement alloué à la T.E.E. la somme en litige (paragraphe 52 ci-dessus).
65. En conclusion, le requérant, faute d’avoir pu agir, de manière directe et indépendante, pour demander à ses clients le versement - même à la T.E.E., à un premier stade - des honoraires qui lui étaient dus, a subi une atteinte à la substance même de son "droit à un tribunal", que nul recours offert par le droit grec ne pouvait effacer.
Il y a donc eu, sur ce point, violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
B. Durée de la procédure
66. M. Philis reproche en outre à la cour d’appel d’Athènes d’avoir mis plus de trois ans pour rendre sa décision qui, du reste, se limitait à le débouter pour défaut de qualité (paragraphes 34-36 ci-dessus); elle n’aurait pas statué dans un "délai raisonnable".
Compte tenu de la constatation figurant au paragraphe précédent, la Cour ne croit pas nécessaire d’examiner ce grief.
III. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 13 (art. 13)
67. M. Philis affirme n’avoir pas non plus disposé d’un recours effectif devant une "instance" nationale pour alléguer la méconnaissance de son droit d’accès à un tribunal. Il en résulterait une infraction à l’article 13 (art. 13), ainsi libellé:
"Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles."
Eu égard à sa décision relative à l’article 6 (art. 6), la Cour estime, avec la Commission, ne pas devoir se placer sur le terrain de l’article 13 (art. 13): les exigences du second sont moins strictes que celles du premier et absorbées par elles en l’espèce (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Håkansson et Sturesson du 21 février 1990, série A no 171-A, p. 21, par. 69).
IV. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 14, COMBINE AVEC L’ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 14+6-1)
68. Aux termes de l’article 14 (art. 14) de la Convention,
"La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation."
Le requérant se prétend victime d’une double discrimination incompatible avec ce texte.
Tout d’abord, les clauses rétroactives de la loi no 1346/1983 le viseraient personnellement et auraient été appliquées exclusivement à ses affaires pendantes devant les tribunaux. Il en veut pour preuve la mention expresse de son nom dans le compte rendu des débats parlementaires qui ont débouché sur le vote de cette loi. En second lieu, la profession d’ingénieur serait la seule dont les membres ne bénéficient pas d’un accès direct aux tribunaux pour se prévaloir de leurs droits de caractère civil.
Par sa décision du 7 décembre 1988 sur la recevabilité de la requête, la Commission a écarté le premier grief parce que relatif à une période antérieure à la prise d’effet, le 20 novembre 1985, de la déclaration hellénique acceptant le droit de recours individuel. Dès lors, la Cour ne peut en connaître.
Quant au second, elle a déjà relevé que la restriction au droit d’accès de M. Philis à un tribunal a violé l’article 6 (art. 6). Cela étant, elle juge inutile de rechercher s’il a subi de surcroît une discrimination par comparaison à d’autres personnes sujettes à de moindres limitations au même droit (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Dudgeon du 22 octobre 1981, série A no 45, p. 26, paras. 67-70).
V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)
69. D’après l’article 50 (art. 50),
"Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."
Le requérant sollicite la réparation de dommages et le remboursement de frais et dépens. Il prie aussi la Cour de préciser que nul ne pourra saisir les sommes allouées.
A. Préjudice
1. Dommage matériel
70. M. Philis invite la Cour à lui accorder une "réparation complète", au motif que l’issue des procédures litigieuses lui eût sans nul doute été favorable sans la méconnaissance de la Convention. Il revendique à cet égard une somme globale de 582 889 280 drachmes à majorer, pour la période allant du 31 décembre 1988 à la date du dernier paiement, en fonction de l’inflation et de l’érosion monétaire ainsi que des intérêts moratoires exigibles. L’infraction à l’article 6 (art. 6) l’aurait également lésé dans l’exercice de sa profession pendant les cinq dernières années, le privant d’un gain qu’il évalue à 100 000 000 drachmes au bas mot.
Le Gouvernement conclut à l’absence de lien de causalité entre le dommage subi et le manquement allégué. Si toutefois la Cour devait en juger autrement, le droit hellénique - en particulier les articles 105 et 106 de la "loi introductive" au code civil (droit à réparation en cas d’erreur judiciaire) - offrirait au requérant la possibilité d’une restitutio in integrum; en tout cas, le constat éventuel d’une violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.
71. La Cour ne saurait spéculer sur les conclusions auxquelles les juridictions nationales auraient abouti si M. Philis avait pu agir lui-même en justice. Aucun lien de causalité ne se trouvant établi, elle écarte les prétentions relatives aux réclamations dirigées contre l’A.O.E.K., le P.N.P. et A.S. ainsi que le manque à gagner allégué.
2. Dommage moral
72. Pour préjudice moral, l’intéressé demande une indemnité de 300 000 000 drachmes. Il affirme avoir connu, plus de dix ans durant, une grande tension psychologique car il vivait dans l’incertitude et le désespoir quant au déroulement et au dénouement des instances pendantes devant les tribunaux et à leurs répercussions sur sa situation financière.
Le Gouvernement estime que M. Philis n’a pas subi un tel dommage, mais laisse à la Cour le soin d’apprécier.
73. Le sentiment de frustration inspiré par l’impossibilité de prendre en main la défense de ses propres intérêts, de même que l’inquiétude prolongée sur le résultat de ses litiges avec ses débiteurs, ont dû causer au requérant un certain tort moral. Statuant en équité comme l’exige l’article 50 (art. 50), la Cour lui alloue 1 000 000 drachmes de ce chef.
B. Frais et dépens
74. L’intéressé réclame aussi le paiement de frais de justice et d’honoraires d’avocat ainsi qu’une somme pour le travail consacré par lui à l’affaire.
D’après la jurisprudence constante de la Cour, pour avoir droit à l’allocation de frais et dépens la partie lésée doit les avoir supportés afin d’essayer de prévenir ou faire corriger une violation de la Convention, d’amener la Commission puis la Cour à la constater et d’en obtenir l’effacement. Il faut aussi que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.
1. Frais relatifs aux procédures nationales
75. M. Philis sollicite 21 312 160 drachmes pour honoraires d’avocat, de même que pour d’autres dépenses diverses encourues lors des instances introduites, de 1978 à 1986, soit par lui-même (paragraphe 9 ci-dessus) soit par la T.E.E.; il en fournit une liste détaillée.
D’après le Gouvernement, ces frais ne visaient pas à sauvegarder le droit d’accès aux tribunaux helléniques ni à accélérer la marche de la procédure devant eux; dès lors, ils ne sauraient donner lieu à remboursement.
76. La Cour note que les frais exposés par l’intéressé devant les juridictions helléniques se rapportaient au fond des litiges et non au problème de l’accès à un tribunal.
Elle relève néanmoins que ses interventions dans les procédures engagées par la T.E.E. contre l’A.O.E.K. et sa propre action contre le P.N.P. constituaient pour lui l’unique moyen de tenter de remédier à la carence de la législation grecque. Elle estime donc, avec le délégué de la Commission, qu’il doit se voir rembourser les frais correspondants dans la mesure où ils se révèlent réels, nécessaires et raisonnables. Certaines prétentions apparaissant excessives, elle ne peut lui accorder à ce titre qu’un montant évalué en équité à 4 000 000 drachmes.
2. Frais relatifs aux procédures européennes
77. N’ayant pas été assisté d’un avocat devant la Commission, M. Philis demande 6 375 000 drachmes pour son propre travail et 911 120 drachmes pour frais divers et de déplacement.
Le Gouvernement accepte de rembourser les frais résultant des voyages du requérant à Strasbourg et quelques autres dépenses, mais d’après lui la somme à octroyer de la sorte devrait se fonder sur les barèmes établis par la Commission pour l’assistance judiciaire. Il se déclare prêt à verser 1 000 000 drachmes.
La Cour note que l’intéressé a défendu lui-même sa thèse auprès de la Commission et a comparu en personne devant elle; il a supporté des frais élevés dont il donne le détail. Dès lors, et compte tenu des observations du Gouvernement, elle considère en équité qu’il échet de lui allouer 1 000 000 drachmes à cet égard.
78. Devant la Cour, le président a autorisé M. Philis à présenter lui-même un mémoire et à prendre la parole à l’audience; il lui a en outre consenti le bénéfice de l’assistance judiciaire.
Le requérant sollicite cependant 1 632 770 drachmes et 3 226 francs français de frais et d’honoraires d’avocat, ainsi que 544 900 drachmes pour frais divers. Il y ajoute 3 750 000 drachmes destinées à le dédommager de son travail personnel, 300 000 pour sa venue à l’audience et 275 000 pour sa présence au prononcé de l’arrêt de la Cour.
Gouvernement et Commission relèvent que l’intéressé ne prouve pas avoir assumé des engagements allant au-delà des montants versés par la voie de l’aide judiciaire.
Eu égard à la note dont s’accompagne la demande présentée en vertu de l’article 50 (art. 50), ainsi qu’aux sommes perçues du Conseil de l’Europe, la Cour accorde au requérant 1 000 000 drachmes au titre des frais et honoraires de son avocat.
Parmi les frais de voyage de M. Philis, seuls entreraient en ligne de compte ceux qu’a entraînés sa participation aux débats, mais l’aide judiciaire les a déjà couverts. Enfin, la Cour estime en équité à 800 000 drachmes la somme à octroyer à l’intéressé pour ses frais généraux.
C. Demande de déclaration d’insaisissabilité
79. Le requérant invite la Cour à préciser dans son arrêt que les montants alloués au titre de l’article 50 (art. 50) ne pourront donner lieu à aucune saisie.
Elle ne s’estime pas en mesure d’accéder à cette demande.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, par huit voix contre une, qu’il y a eu violation du droit d’accès à un tribunal, garanti par l’article 6 par. 1 (art. 6-1);
2. Dit, à l’unanimité, qu’il ne s’impose pas de déterminer s’il y a eu en outre dépassement du "délai raisonnable" au sens du même article (art. 6-1);
3. Dit, à l’unanimité, qu’il ne s’impose pas non plus d’examiner l’affaire sous l’angle de l’article 13 (art. 13), ni de l’article 14 combiné avec l’article 6 (art. 14+6);
4. Dit, à l’unanimité, que l’État défendeur doit verser au requérant 1 000 000 (un million) drachmes pour dommage moral et 6 800 000 (six millions huit cent mille) drachmes pour frais et dépens;
5. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg, le 27 août 1991.
Rolv RYSSDAL
Président
Marc-André EISSEN
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 53 par. 2 du règlement, l’exposé de l’opinion dissidente de M. Pettiti.
R.R.
M.-A. E.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE PETTITI
Je n’ai pas voté avec la majorité pour la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). A mon avis, l’intéressé n’est pas privé de son droit à un tribunal ni du droit d’accès à un tribunal, au sens de l’arrêt Golder.
Certes, il y a subrogation d’office, prévue par le décret no 30 du 31 mai 1956, en cas de refus de consignation par le débiteur, client de l’ingénieur. L’article 2 par. 5 du décret, combiné avec l’article 83 du code de procédure civile, réserve le droit du créancier à intervenir à tout moment dans la procédure. Il ne m’apparaît pas que cette disposition exclue l’exercice de l’action ou lèse l’ayant droit, même si elle modifie l’exercice de l’instance.
Dans le cas où la T.E.E. refuse l’exercice de l’instance, il ne me paraît pas établi que l’intéressé soit privé définitivement de son action sauf à demander que les honoraires soient versés à la T.E.E. Certes, l’arrêt de la cour d’appel d’Athènes du 16 novembre 1987 a déclaré que seule la jurisprudence de la cour d’appel administrative de Larissa (arrêt 8/1988) laisse ouverte la possibilité pour l’ayant droit de poursuivre personnellement le recouvrement de ses honoraires ou de poursuivre la T.E.E. si celle-ci refuse d’agir ou commet des fautes dans l’accomplissement du mandat de subrogation. En outre, l’ingénieur dispose aussi de l’action oblique aux termes de l’article 72 du code de procédure civile, qui est une clause générale.
En l’absence d’une jurisprudence constante et exhaustive de la Cour de cassation sur cette question de principe (l’arrêt 309/1986 étant de portée limitée), il me paraît prématuré de tenir le gouvernement grec pour responsable d’une violation de l’article 6 (art. 6).
* L'affaire porte le n° 32/1990/223/285-287. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
** Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990.
*** Les amendements au règlement entrés en vigueur le 1er avril 1989 s'appliquent en l'espèce.
* Note du greffier: Pour des raisons d'ordre technique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 209 de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
MALONE v. THE UNITED KINGDOM JUGDMENT
ARRÊT PHILIS c. GRÈCE
ARRÊT PHILIS c. GRÈCE
ARRÊT PHILIS c. GRÈCE
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE PETTITI