N° P.24.1209.F
J. A.
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Caroline Heymans, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 27 juin 2024 par le tribunal correctionnel francophone de Bruxelles, statuant en degré d’appel.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
A l’audience du 18 décembre 2024, le conseiller François Stévenart Meeûs a fait rapport et l’avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LES FAITS
1. Par un jugement rendu contradictoirement à l’égard du demandeur le 7 novembre 2022, le tribunal de police francophone de Bruxelles a déclaré établies à sa charge plusieurs infractions à la loi relative à la police de la circulation routière et l’a condamné à une amende ainsi qu’à une déchéance du droit de conduire.
2. Le 20 décembre 2022, le conseil du demandeur a interjeté appel de ce jugement et a déposé un formulaire de griefs.
3. Le jugement attaqué déclare ce recours tardif et, par conséquent, irrecevable, au motif qu’il a été formé après l’écoulement du délai d’appel de trente jours qui, en vertu de l’article 203, § 1er, du Code d’instruction criminelle, court à partir du jour de la prononciation du jugement entrepris, à peine de déchéance de l’appel.
III. LA DÉCISION DE LA COUR
4. Le moyen invoque la violation des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 203 du Code d’instruction criminelle. Le demandeur a soutenu devant les juges d’appel qu’il avait été contraint d’interjeter appel en dehors du délai légal, en raison de la situation de force majeure à laquelle il avait été confronté : après que le demandeur avait fait part à son conseil, le 23 novembre 2022, de son souhait d’interjeter appel, et après que ce dernier lui avait confirmé par écrit, le 28 novembre 2022, avoir fait une déclaration d’appel dans le délai légal, ledit conseil l’a informé le 19 décembre 2022, c’est-à-dire après l’écoulement du délai d’appel, qu’il s’était trompé et que, en réalité, aucun appel n’avait été introduit. Selon le moyen, en déclarant l’appel irrecevable alors que le demandeur s’est trouvé dans l’impossibilité intellectuelle de former son recours, puisqu’il était convaincu, par les démarches qu’il avait faites en temps utile auprès de son conseil, que celui-ci avait effectivement interjeté appel, le jugement méconnaît le droit d’accès du demandeur à un tribunal.
Sur le moyen pris, d’office, de la violation de l’article 149 de la Constitution :
5. En vertu de l’article 203, § 1er, du Code d’instruction criminelle, la déclaration d'appel doit être faite au greffe du tribunal qui a rendu le jugement trente jours au plus tard après celui où il a été prononcé, ou, si le jugement a été rendu par défaut, trente jours au plus tard après celui de la signification qui en aura été faite à la partie condamnée ou à son domicile. Sauf cas de force majeure ou erreur invincible, l'appel interjeté après l'expiration de ce délai est irrecevable.
La force majeure ou l’erreur invincible qui justifie la recevabilité d'une voie de recours formée après l’expiration du délai légal ne peut résulter que d'une circonstance indépendante de la volonté de l'appelant et qui ne pouvait pas être prévue ou évitée par lui.
6. L’erreur invincible, qui se distingue de la force majeure, est celle dans laquelle verse tout homme raisonnable et prudent, placé dans les mêmes circonstances. Lorsqu’une telle erreur est invoquée devant lui à l’appui d’une défense ou d’une demande, le juge doit examiner quel aurait été le comportement de la grande majorité des personnes confrontées à la même circonstance.
7. En règle, les fautes ou négligences du mandataire engagent le mandant lorsqu’elles sont commises dans les limites du mandat et ne peuvent constituer en soi pour le mandant un cas de force majeure ou d’erreur invincible.
8. Le demandeur a fait valoir dans ses conclusions devant le tribunal correctionnel qu’il avait « reçu une confirmation écrite de son avocat le 28 novembre 2022 qu’un appel avait bien été introduit en son nom, et que jusqu’au 19 décembre en soirée, il était demeuré dans une impossibilité intellectuelle de former son recours, pensant que celui-ci avait été introduit par son conseil ». Il en déduisait « qu’il s’agit en l’espèce d’un cas de force majeure/ d’une ignorance invincible permettant de proroger le délai d’appel pendant le temps durant lequel le concluant s’est trouvé dans l’impossibilité de former son recours ».
L’erreur ou l’ignorance invincible dans laquelle le demandeur dit avoir versé résulte donc, d’après le moyen invoqué devant le tribunal correctionnel, du rapport écrit, relatif à l’exécution du mandat, que lui avait fait son avocat le 28 novembre 2022, et non du fait que ce dernier a négligé d’interjeter appel en exécution du mandat qui lui avait été confié.
9. Pour dire irrecevable l’appel du demandeur, le jugement considère que « les fautes ou négligences du mandataire engagent le mandant et ne peuvent constituer en soi, pour le mandant, une cause étrangère, un cas fortuit ou la force majeure », que la « faute commise par l’ancien conseil du demandeur lie ce dernier » et que « dans la mesure où la force majeure fait défaut, l’appel [du demandeur] n’a pas été formé dans le délai légal et n’est pas recevable ».
Il ne ressort pas de ces motifs que les juges d’appel ont examiné le moyen spécifique du demandeur qui, en substance, faisait valoir que la confirmation écrite du 28 novembre 2022 de son avocat l’avait invinciblement induit en erreur et qu’il s’était, à cause de cet écrit, trouvé dans l’impossibilité d’interjeter appel dans le délai légal.
Le jugement n’est, partant, pas régulièrement motivé.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Casse le jugement attaqué,
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement cassé ;
Reserve les frais pour qu’il y soit statué par la juridiction de renvoi ;
Renvoie la cause au tribunal correctionnel du Brabant wallon.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Eric de Formanoir, premier président, Françoise Roggen, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du quinze janvier deux mille vingt-cinq par Eric de Formanoir, premier président, en présence de Véronique Truillet, avocat général délégué, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.