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04/05/2023 | BELGIQUE | N°73/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 04 mai 2023, 73/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 73/2023
du 4 mai 2023
Numéro du rôle : 7763
En cause : les questions préjudicielles relatives à l’article 91, § 1er, alinéa 1er, et § 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, posées par le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le présid

ent P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des question...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 73/2023
du 4 mai 2023
Numéro du rôle : 7763
En cause : les questions préjudicielles relatives à l’article 91, § 1er, alinéa 1er, et § 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, posées par le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
Par jugement du 4 février 2022, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 28 février 2022, le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles a posé les questions préjudicielles suivantes :
« L’article 91, § 1er, alinéa 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il énonce qu’un intérêt de retard de 0,8 p.c. par mois - à savoir 9,6 % en taux annuel - est exigible de plein droit si la taxe n’a pas été payée, alors que l’article 414, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 prévoit qu’à défaut de paiement dans les délais fixés aux articles 412, 413 et 413/1 du même Code, les sommes dues sont productives au profit du Trésor pour la durée du retard, par dérogation à l’article 2, § 2, de la loi du 5 mai 1865 relative au prêt à intérêt, d’un intérêt au taux adapté annuellement et correspondant à la moyenne des indices de référence J relative aux obligations linéaires à 10 ans des mois de juillet, août et septembre de l’année précédant celle au cours de laquelle le taux est applicable, sans que celui-ci ne puisse être inférieur à 4 p.c., ni supérieur à 10 p.c., eu égard notamment au fait que sont traitées de manière différente d’une part les personnes qui sont redevables d’intérêts de retard en vertu de l’article 91, § 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée (pouvant s’avérer disproportionnés et inadaptés à la réalité économique), et d’autre part
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les personnes qui sont redevables des intérêts de retard prévus par l’article 414, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 (lesquels sont adaptés à la réalité économique) et les personnes qui sont redevables d’intérêts de retard calculés au taux de l’intérêt légal sur les sommes dont elles sont redevables, que ce soit à titre d’impôt ou à un autre titre ?
Dans le cas où la Cour, répondant à la question précédente, jugerait que l’article 91, § 1er, alinéa 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée est discriminatoire et inconstitutionnel, l’Etat belge, en tant qu’il doit les intérêts moratoires comptés au même taux de 0,8 p.c. par mois sur les sommes à restituer, en vertu de l’article 91, § 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, subirait-il une différence de traitement injustifiée si on le compare avec les personnes qui doivent la taxe qui n’a pas été payée, ces derniers n’étant en ce cas pas redevables de l’intérêt de retard compté au même taux ? L’Etat belge, en tant qu’il doit les intérêts moratoires comptés au même taux de 0,8 p.c. par mois sur les sommes à restituer, en vertu de l’article 91, § 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, subit-il une différence de traitement injustifiée si on le compare avec les autres personnes de droit public qui doivent des intérêts de retard sur des impôts restituables ou avec les personnes qui sont redevables d’intérêts de retard calculés au taux de l’intérêt légal sur les sommes dont elles sont débitrices ? ».
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me J. Fekenne, avocat au barreau de Liège-Huy, a introduit un mémoire.
Par ordonnance du 15 février 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs T. Giet et S. de Bethune, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins que le Conseil des ministres n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendu, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 1er mars 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 1er mars 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Le 7 mars 2018, l’Inspection spéciale des impôts dresse un procès-verbal de redressement de TVA de 809 840,66 euros à l’encontre d’une SPRL, au motif que celle-ci aurait erronément accordé, pour les années 2010
à 2016, des exemptions de TVA sur la vente de bijoux et montres de luxe. Le 15 mars 2018, une contrainte est décernée sur le fondement de ce procès-verbal. Cette contrainte est rendue exécutoire le 22 mars 2018 et signifiée par exploit d’huissier le 7 mars 2018. La SPRL saisit alors le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles en vue de contester le redressement de TVA dont elle fait l’objet. Par un jugement du 4 février 2022, ce Tribunal estime que l’exemption de TVA a été, en partie, appliquée à tort par la SPRL, de sorte qu’il y a effectivement lieu de procéder à un redressement de TVA. En ce qui concerne la fixation des intérêts de retard et moratoires, le Tribunal constate que le calcul prévu à l’article 91, § 1er, alinéa 1er, et § 3, du Code de la taxe sur
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la valeur ajoutée (ci-après : le Code de la TVA) diffère, notamment, du calcul établi à l’article 414, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992). Partant, la juridiction a quo s’interroge sur la compatibilité de cette différence de traitement avec les articles 10 et 11 de la Constitution et, à la demande des parties, pose les questions préjudicielles reproduites plus haut.
III. En droit
-A-
A.1. Le Conseil des ministres soutient que la première question préjudicielle appelle une réponse négative.
Il observe que, par son arrêt n° 168/2018 du 29 novembre 2018 (ECLI:BE:GHCC:2018:ARR.168), la Cour a jugé que la différence de traitement entre le contribuable qui récupère des intérêts moratoires sur la base du CIR 1992
au taux annuel de 2 % et le contribuable récupérant de tels intérêts sur la base du Code de la TVA au taux mensuel de 0,8 % n’était pas discriminatoire. La première question préjudicielle appelle un raisonnement similaire, dès lors qu’elle porte sur les intérêts de retard, dont le taux est de 4 % par an en ce qui concerne les impôts sur les revenus et de 0,8 % par mois en ce qui concerne la TVA, de sorte que l’écart entre les taux d’intérêt prévus par le CIR 1992
et par le Code de la TVA est plus réduit dans le cas des intérêts de retard que dans celui des intérêts moratoires. Il ressort en outre des travaux préparatoires de la loi du 25 décembre 2017 « portant réforme de l’impôt des sociétés »
que le législateur a sciemment considéré qu’une différence de traitement se justifiait en matière d’impôt sur les revenus. Selon la jurisprudence constante de la Cour, le législateur jouit d’une grande marge d’appréciation en matière fiscale. Dès lors que le CIR 1992 et le Code de la TVA contiennent des règles procédurales distinctes, la différence de traitement est justifiée.
Le Conseil des ministres précise qu’il existe une différence fondamentale entre la TVA et les impôts sur les revenus, dès lors que, dans le système de la TVA, chaque assujetti est en réalité un collecteur d’impôt et non la personne qui supporte la TVA. Les taxes qu’il impute à ses clients représentent, d’une part, les taxes qui sont payées à ses fournisseurs ou à l’importation et qu’il récupère par déduction et, d’autre part, un excédent de taxes qu’il doit à l’État. Partant, l’assujetti ne peut se prévaloir du fait de ne pas avoir disposé à temps des sommes qui devaient être versées au Trésor aux périodes légalement prévues. À l’inverse, le redevable des impôts sur les revenus en supporte effectivement la charge. Le taux d’intérêt en matière de TVA doit donc être suffisamment incitatif pour garantir la bonne conduite des assujettis à la TVA et pour éviter que ce taux d’intérêt se transforme en crédits de caisse bon marché pour les opérateurs économiques. Le Conseil des ministres insiste par ailleurs sur le fait que la TVA représente près d’un tiers des recettes fiscales de l’autorité fédérale, de sorte que sa perception est vitale pour le budget étatique et pour le financement des entités fédérées.
Enfin, le Conseil des ministres soutient que la différence de traitement repose sur une distinction entre des redevables qui, selon la nature de la dette, se trouvent dans des situations juridiques différentes. En effet, la différence essentielle entre la TVA et les impôts sur les revenus justifie la différence de traitement entre les taux des intérêts de retard. Par ailleurs, la durée d’une procédure contentieuse en matière d’impôts sur les revenus est supérieure à la durée applicable en matière de TVA, puisqu’un recours administratif préalable à la saisine du juge est prévu dans le premier cas, alors que, dans le second, l’assujetti peut directement porter sa contestation devant une juridiction. Dès lors, tant sur le plan de l’impôt proprement dit que sur celui de la procédure contentieuse, les redevables de la TVA et les redevables de l’impôt sur les revenus ne se trouvent pas dans des situations comparables.
A.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres soutient que la seconde question préjudicielle appelle une réponse affirmative. En effet, si la Cour jugeait que l’article 91, § 1er, du Code de la TVA crée une discrimination entre les contribuables redevables d’intérêts de retard en matière d’impôts directs ou de TVA, il en irait de même en ce qui concerne l’État lorsqu’il est tenu de rembourser des intérêts moratoires à ces mêmes contribuables, puisque la différence de taux sur laquelle repose la première question préjudicielle est plus grande dans le cas des intérêts moratoires visés dans cette seconde question préjudicielle. En effet, en vertu de l’article 91, § 3, du Code
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de la TVA, l’État est redevable d’intérêts moratoires au taux mensuel de 0,8 %, alors qu’en vertu de l’article 79
du CIR 1992, le taux annuel de tels intérêts est de 2 %.
A.3. Dans l’hypothèse où la disposition en cause serait jugée inconstitutionnelle, le Conseil des ministres demande que les effets de celle-ci soient maintenus en application de l’article 28 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle. Selon lui, dans cette hypothèse, l’administration fiscale ne pourrait plus appliquer cette disposition, de sorte qu’il en résulterait une différence de traitement non justifiée entre les contribuables exposés à des intérêts de retard ou moratoires, selon qu’il s’agit d’impôts sur les revenus ou de la TVA, dès lors que les contribuables seraient privés des intérêts précités dans le second cas.
-B-
Quant à la disposition en cause et à sa portée
B.1.1. Les questions préjudicielles portent sur l’article 91, § 1er, alinéa 1er, et § 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après : le Code de la TVA), en ce qu’il fixe à 0,8 % par mois le taux des intérêts de retard et des intérêts moratoires.
B.1.2. Avant sa modification par la loi du 20 novembre 2022 « portant des dispositions fiscales et financières diverses » (ci-après : la loi du 20 novembre 2022), l’article 91, § 1er, alinéa 1er, du Code de la TVA prévoyait plusieurs hypothèses dans lesquelles un intérêt de retard de 0,8 % par mois était exigible de plein droit sur les sommes à restituer en cas de retard de paiement de la TVA de la part du contribuable. L’article 91, § 3, du Code de la TVA
prévoyait quant à lui plusieurs hypothèses dans lesquelles un intérêt moratoire du même taux était exigible de plein droit sur les sommes à restituer par l’État. Par ailleurs, l’article 91, § 5, du Code de la TVA précisait que le Roi pouvait adapter le taux prévu à l’article 91, § 1er, alinéa 1er, et § 3, « lorsque les fluctuations du taux de l’intérêt pratiqué sur le marché financier le justifient ».
B.1.3. L’article 17 de la loi du 20 novembre 2022 a ultérieurement modifié le taux de 0,8 % fixé à l’article 91, § 1er, alinéa 1er, et § 3, du Code de la TVA. Désormais, le taux de l’intérêt est déterminé conformément à l’article 2, § 2/1, alinéa 1er, 1°, de la loi du 5 mai 1865
« relative au prêt à l’intérêt », augmenté de quatre points de pourcentage dans l’hypothèse d’intérêts de retard (article 91, § 1er, alinéa 2, du Code de la TVA) et diminué de deux points de pourcentage dans l’hypothèse d’intérêts moratoires (article 91, § 5, alinéa 1er, du Code de
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la TVA). L’article 17 précité a par ailleurs supprimé la possibilité pour le Roi de modifier le taux des intérêts de retard et moratoires.
B.1.4. L’entrée en vigueur de l’article 17 de la loi du 20 novembre 2022 est fixée au 1er janvier 2023 par l’article 38 de cette même loi.
Initialement, l’article 37 de l’avant-projet à l’origine de la loi du 20 novembre 2022
prévoyait une application immédiate du nouveau taux des intérêts de retard à toutes les situations en cours (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2899/001, p. 92). Dans son avis, la section de législation du Conseil d’État a observé à ce sujet :
« L’effet immédiat sur toutes les situations en cours, que prévoit l’article 37 de l’avant-
projet, ne peut se concilier avec l’interdiction de la non-rétroactivité que s’il est conçu de façon telle que, lors du calcul des intérêts dus pour la période jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi à adopter, les taux d’intérêt en vigueur à l’époque sont appliqués, et pour la période postérieure à l’entrée en vigueur de cette loi, ce sont les taux d’intérêt nouvellement instaurés qui s’appliquent » (ibid., p. 140).
Il ressort des travaux préparatoires que le législateur a suivi la remarque de la section de législation du Conseil d’État sur ce point :
« L’article 37 de l’avant-projet a été supprimé de sorte qu’il convient d’interpréter le principe de l’application immédiate de la loi nouvelle au sens donné par ce point de l’avis susmentionné » (ibid., pp. 21-22).
B.1.5. Partant, il faut considérer que le taux de 0,8 % fixé à l’article 91, § 1er, alinéa 1er, et § 3, du Code de la TVA, tel qu’il était libellé avant sa modification par la loi du 20 novembre 2022, s’applique au litige devant la juridiction a quo, de sorte que les questions préjudicielles ne sont pas devenues sans objet à la suite de l’adoption de cette loi.
B.2.1. L’article 91 du Code de la TVA fait partie du Chapitre XIV de ce Code, intitulé « Poursuites et instances ». Il ressort des travaux préparatoires du Code de la TVA que ce chapitre s’inspire du régime du Code des taxes assimilées au timbre - actuel Code des droits et
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taxes divers (Doc. parl., Chambre, 1968, n° 88/1, pp. 70-72). Les travaux préparatoires de la disposition à l’origine de l’article 2043 du Code des droits et taxes divers, qui prévoit notamment que les sommes à recouvrer ou à restituer donnent lieu à des intérêts, précisent que l’objectif du législateur était d’assurer la juste perception de l’impôt, d’éviter la fraude fiscale et d’assurer une uniformisation de la législation applicable en matière d’intérêts de retard en matière fiscale (Doc. parl., Chambre, 1946-1947, n° 44, pp. 74 et 86).
B.2.2. Le taux de 0,8 % fixé à l’article 91, § 1er, alinéa 1er, et § 3, du Code de la TVA est issu de la loi du 4 août 1986 « portant des dispositions fiscales » (ci-après : la loi du 4 août 1986). En abaissant le taux antérieur, qui était de 1 %, le législateur a souhaité « rapprocher des taux d’intérêt des marchés financiers, le taux de l’intérêt exigible de plein droit sur les sommes à recouvrer ou à restituer en matière d’impôts sur les revenus et de taxe sur la valeur ajoutée »
(Doc. parl., Sénat, 1985-1986, n° 310/1, p. 3).
B.2.3. Les travaux préparatoires de la loi du 4 août 1986 précisent à ce sujet :
« Compte tenu du taux actuel de l’intérêt légal (10 p.c.) et de la baisse continue des taux d’intérêts conventionnels, le Gouvernement est d’avis que le taux auquel sont pour l’instant calculés les intérêts de retard et les intérêts moratoires (1 p.c. par mois civil ou 12 p.c. l’an) tant en matière d’impôts directs qu’en matière de taxe sur la valeur ajoutée, ne se justifie plus. C’est pourquoi il est proposé de ramener ce dernier taux à 0,8 p.c.
De plus, il est apparu opportun de confier au Roi le soin d’adapter, à l’avenir, le taux en question, pour tenir compte des taux du marché financier » (ibid., p. 16).
Et :
« Un commissaire demande comment le Ministre a établi le taux de 0,8 p.c. qui lui paraît trop élevé en comparaison avec les taux pratiqués actuellement. Il demande aussi confirmation du coût de la mesure.
Le Ministre reconnaît que le calcul effectué pour fixer à 0,8 p.c. le taux de retard est aujourd’hui dépassé depuis la baisse d’intérêt intervenue sur le marché. C’est pourquoi il a été prévu de permettre au Roi de modifier ce taux […]. Le Ministre estime que l’abaissement du taux interviendra, le cas échéant, annuellement.
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Un autre membre se demande s’il ne serait pas plus judicieux de supprimer le taux de 0,8 p.c. et de confier au Roi le pouvoir de fixer le taux applicable en l’espèce.
Le Ministre estime que ce taux doit rester indiqué dans la loi, étant donné que le coût de la mesure ne pourra pas dépasser 200 millions de francs pour 1986. Il estime d’ailleurs utile que le contribuable trouve une indication dans la loi elle-même. Il considère, par ailleurs, qu’il est raisonnable de confier au Roi le pouvoir de modifier ce taux » (Doc. parl., Sénat, 1985-1986, n° 310/2-1, p. 92).
Par ailleurs, un amendement qui visait à obliger expressément le Roi à modifier le taux des intérêts de retard et des intérêts moratoires dès l’instant où ce taux s’écarterait de plus de 1,5 %
du taux de l’intérêt légal a été rejeté (ibid., n° 310/3, p. 2). Le ministre des Finances a souligné à cet égard que « la logique même impose au Gouvernement, lorsque l’écart devient trop grand par rapport aux intérêts qui sont pratiqués sur le marché, d’adapter les taux d’intérêt ». Il a estimé « qu’il n’y a aucune raison de prendre des mesures contraignantes pour ce qui dépend en fait du marché lui-même » et a considéré « qu’il n’est pas opportun que le Gouvernement se voie imposer de façon contraignante et mécanique de telles dispositions » (ibid., n° 310/58, pp. 5-6).
Quant aux questions préjudicielles
B.3.1. La première question préjudicielle porte sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de la différence de traitement entre les personnes redevables d’intérêts de retard sur la base de l’article 91, § 1er, alinéa 1er, du Code de la TVA, en ce qu’il établit un taux d’intérêt de 0,8 % par mois, et, d’une part, les personnes redevables d’intérêts de retard sur la base de l’article 414, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992), qui prévoit un taux adapté annuellement à la réalité économique, sans que celui-ci puisse être inférieur à 4 % ni supérieur à 10 %, et, d’autre part, les personnes redevables d’intérêts de retard calculés au taux de l’intérêt légal sur les sommes dont elles sont redevables, que ce soit à titre d’impôt ou à un autre titre.
B.3.2. La seconde question préjudicielle porte sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de la différence de traitement entre l’État belge redevable d’intérêts moratoires sur la base de l’article 91, § 3, du Code de la TVA, en ce qu’il établit un taux
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d’intérêt de 0,8 % par mois, et plusieurs autres catégories de personnes, à savoir, premièrement, les personnes redevables de la taxe qui n’a pas été payée, ces dernières n’étant en ce cas pas redevables de l’intérêt de retard calculé au même taux au regard de la réponse apportée à la première question préjudicielle, deuxièmement, les autres personnes de droit public redevables d’intérêts de retard sur des impôts restituables et, troisièmement, les personnes qui sont redevables d’intérêts de retard calculés au taux de l’intérêt légal sur les sommes dont elles sont débitrices.
B.4. Les questions préjudicielles concernent le montant des intérêts de retard et des intérêts moratoires applicables à la taxe sur la valeur ajoutée. En vertu de l’article 91, §§ 1er et 3, du Code de la TVA, tel qu’il est applicable devant la juridiction a quo, ces intérêts s’élèvent à 0,8 % par mois. Ce taux d’intérêt ne refléterait plus l’évolution du taux du marché, à la différence, notamment, des taux d’intérêt qui sont applicables à l’impôt des personnes physiques et des sociétés, qui sont adaptés d’office, conformément à l’article 2, § 2/1, alinéa 1er, 1°, de la loi du 5 mai 1865 « relative au prêt à l’intérêt » (article 414 du Code des impôts sur les revenus 1992). Eu égard à leur connexité, la Cour examine les deux questions préjudicielles conjointement.
B.5. Comme il est dit en B.1.2, l’article 91, § 5, du Code de la TVA, tel qu’il est applicable devant la juridiction a quo, prévoit que, pour tenir compte des taux du marché financier, « le Roi peut adapter les taux d’intérêt prévus aux §§ 1er, 2 et 3 ».
B.6. Lorsqu’il détermine sa politique en matière fiscale, le législateur dispose d’un pouvoir d’appréciation étendu. Tel est notamment le cas lorsqu’il détermine les modalités de calcul des intérêts de retard dus par le contribuable en matière de TVA. Dans cette matière, la Cour ne peut censurer les choix politiques du législateur et les motifs qui les fondent que s’ils reposent sur une erreur manifeste ou ne sont pas raisonnablement justifiés.
Pour autant qu’il ne s’agisse pas des éléments essentiels de l’impôt, il relève également du pouvoir d’appréciation du législateur de déléguer un pouvoir au Roi. Le pouvoir d’adapter les taux d’intérêt visés ne fait pas partie des éléments essentiels de l’impôt.
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B.7. La Cour ne peut se prononcer sur le caractère justifié ou non d’une différence de traitement au regard des dispositions de la Constitution qu’elle est habilitée à faire respecter que si cette différence de traitement est imputable à une norme législative.
Il ressort de ce qui est dit en B.5 que les différences de traitement concrètes au sujet desquelles la Cour est invitée à se prononcer ne doivent pas être imputées à une norme législative, mais à l’attente d’un arrêté royal adaptant les taux d’intérêt visés à l’article 91, §§ 1er et 3.
Lorsqu’un législateur délègue, il faut supposer, sauf indications contraires, qu’il entend exclusivement habiliter le délégué à faire de son pouvoir un usage conforme à la Constitution.
Ni l’article 26, § 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 ni aucune autre disposition constitutionnelle ou législative ne confèrent à la Cour le pouvoir de statuer, à titre préjudiciel, sur la manière dont le Roi a exercé ou non les pouvoirs qui Lui avaient été conférés par le législateur. Ce pouvoir appartient au juge ordinaire et au Conseil d’État, section du contentieux administratif, qui, conformément à l’article 14, § 3, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, est par ailleurs compétent pour se prononcer sur des recours en annulation du silence de l’autorité.
B.8. Lorsque le législateur fait naître une différence de traitement, il viole les articles 10
et 11 de la Constitution s’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
Étant donné que le législateur a rendu possible l’adaptation des taux d’intérêt, il a respecté les principes du raisonnable et de la proportionnalité.
B.9. Par conséquent, l’article 91, §§ 1er et 3, du Code de la TVA, tel qu’il est applicable devant la juridiction a quo, est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 91, § 1er, alinéa 1er, et § 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, tel qu’il était applicable avant sa modification par la loi du 20 novembre 2022 « portant des dispositions fiscales et financières diverses », ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 4 mai 2023.
Le greffier, Le président,
P.-Y. Dutilleux P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 73/2023
Date de la décision : 04/05/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

Non-violation (article 91, § 1er, alinéa 1er, et § 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, tel qu'il était applicable avant sa modification par la loi du 20 novembre 2022 « portant des dispositions fiscales et financières diverses »)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - les questions préjudicielles relatives à l'article 91, § 1er, alinéa 1er, et § 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, posées par le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles. Droit fiscal - TVA - Intérêts de retard et intérêts moratoires - Taux d'intérêt de 0,8 % par mois - Evolution du taux du marché


Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-05-04;73.2023 ?

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